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��69-70. Méditations. — Cinquième. 5 5

il n'y auroit aucune chofe que ie connuffe pluftoft ny plus facile- ment que luy. Car y a-t-il rien de foy plus clair & plus manifefte, que de penfer qu'il y a vn Dieu, c'eft à dire vn eftre fouuerain & parfait, en l'idée duquel feul l'exiftence neceffaire ou éternelle eft comprife, & par confequent qui exifte ?

Et quoy que, pour bien conceuoir cette vérité, ] i'aye eu befoin d'vne grande application d'efprit, toutesfois à prefent ie ne m'en tiens pas feulement auffi affeuré que de tout ce qui me femble le plus cer- tain : mais, outre cela, ie remarque que la certitude de toutes les autres choies en dépend fi abfolument, que fans cette connoiliance il elt impoffible de pouuoir Jamais rien içauoir parfaitement.

Car encore que ie fois d'vne telle nature, que, dés auffi-tofl: que ie comprens quelque chofe fort clairement & fort diflinclement, ie fuis naturellement porté à la croire vraye; neantmoins, parce que ie fuis auffi d'vne telle nature, que ie ne puis pas auoir l'efprit touf- iours attaché à vne mefme chofe, & que fouuent ie me reffouuiens d'auoir iugé vne chofe eftre vraye ; lorfque ie ceffe de confiderer les raifons qui m'ont obligé à la iuger telle, il peut arriuer pendant ce temps-là que d'autres raifons fe prefentent à moy, lefquelles me feroient aifement changer d'opinion, fi i'ignorois qu'il y eufl vn Dieu. Et ainfi ie n'aurois iamais vne vraye & certaine fcience d'au- cune chofe que ce foit, mais feulement de vagues & inconfiantes opinions.

Comme, par exemple, lorfque ie confidere la nature du triangle, ie connois euidemment, moy qui fuis vn peu verfé dans la Géomé- trie, que fes trois angles font égaux à deux droits, & il ne m'eft pas pofllble de ne le point croire, pendant que l'applique ma penfée à la demonflration; mais auffi tort que | ie l'en détourne, encore que ie me reffouuienne | de l'auoir clairement comprife, toutesfois il fe 85 peut faire aifement que ie doute de fa vérité, fi i'ignore qu'il y ait vn Dieu. Car ie puis me perfuader d'auoir efté fait tel par la Nature, que ie me puiffe aifement tromper, mefme dans les chofes que ie croy comprendre auec le plus d'éuidence & de certitude; veu prin- cipalement que ie me reffouuiens d'auoir fouuent efiimé beaucoup de chofes pour vrayes & certaines, lefquelles par après d'autres raifons m'ont porté à iuger abfolument fauffes.

Mais après que i'ay reconnu qu'il y a vn Dieu, pource qu'en mefme temps i'ay reconnu auffi que toutes chofes dépendent de luy, & qu'il n'eft point trompeur, & qu'en fuite de cela i'ay iugé que tout ce que ie conçoy clairement & diftindement ne peut manquer d'eftre vray : encore que ie ne penfe plus aux raifons pour lefquelles

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