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66-67. Méditations, — Cinquième. ijj

fuit pas qu'il y ait aucune montagne dans le monde, de mefme auffi, quoy que ie conçoiue Dieu auec l'exiftence, il femble qu'il ne s'enfuit pas pour cela qu'il y en ait aucun qui exifte : car ma penfée n'impofe aucune neceffité aux chofes ; & comme il ne tient qu'à moy d'imaginer vn cheual aiflé, encore qu'il n'y en ait aucun qui ait des aifles, ainfi ie pourois peut-eftre attribuer l'exiftence à Dieu, encore qu'il n'y euft aucun Dieu qui exiftaft. Tant s'en faut, c'eft icy qu'il y a vn fophifme caché fous l'apparence de cette ob- jedion : car de ce que ie ne puis conceuoir vne montagne fans valée, il ne s'enfuit pas qu'il y ait au monde aucune montagne, ny aucune valée, mais feulement que la montagne & la valée, foit qu'il y en ait, foit qu'il n'y en ait point, ne fe peuuent en aucune façon feparer l'vne d'auec l'autre ; au lieu que, de cela feu! que ie ne puis | conceuoir Dieu fans exiftence, il s'enfuit que l'exiftence efl infeparable de luy, & partant qu'il exifte véritablement : non pas que ma penfée puilTe faire que cela foit de la forte, & qu'elle impofe aux chofes aucune necefiité ; mais, au contraire, parce que la neceffité de la chofe mefme, à fçauoir de l'exiftence de Dieu, dé- termine ma penfée à le conceuoir de cette façon. Car il n'eft pas en ma liberté de conceuoir vn Dieu fans exiftence (c'eft à dire vn eftre fouuerainement parfait fans | vne fouueraine perfedion), comme il 81 m'eft libre d'imaginer vn cheual fans aifles ou auec des aifles.

Et on ne doit pas dire icy qu'il eft à la vérité neceffaire que i'auoûe que Dieu exifte, après que i'ay fuppofé qu'il poflede toutes fortes de perfeftions, puifque l'exiftence en eft vne, mais qu'en effe6t ma première fuppofition n'eftoit pas neceffaire ; de mefme qu'il n'eft point neceffaire de penfer que toutes les figures de quatre coftez fe peuuent infcrire dans le cercle, mais que, fuppofant que i'aye cette penfée, ie fuis contraint d'auouer que le rhombe fe peut infcrire dans le cercle, puifque c'eft vne figure de quatre coftez; & ainfi ie feray contraint d'auouer vne chofe fauffe. On ne doit point, dif-je, alléguer cela : car encore qu'il ne foit pas neceffaire que ie tombe iamais dans aucune penfée de Dieu, neantmoins, toutes les fois qu'il m'arriue de penfer à vn eftre premier & fouuerain, & de tirer, pour ainfi dire, fon idée du trefor de mon efprit, il eft necelfaire que ie luy attribue toutes fortes de perfections, quoy que ie ne vienne pas à les nombrer toutes, & à appliquer mon attention fur chacune d'elles en particulier. Et cette neceffité eft fufiifante pour me faire conclure (après que i'ay reconnu que l'exiftence eft vne perfection), que cet eftre premier & fouuerain exifte véritablement : de mefme qu'il n'eft pas neceffaire que i'imagine iamais aucun triangle ; mais

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