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36-38. Méditations. — Troisième. 29

trompeur: car fans la connoiffance de ces deux veritez, ie ne voy pas que ie puifle iamais eftre certain d'aucune chofe. Et afin que ie puilTe auoiroccafion d'examiner cela fans interrompre l'ordre de méditer que ie me fuis propofé, qui ert de paffer par degrez des no- tions que ie irouueray les premières en mon efprit à celles que i'y pouray | trouuer par après, | il faut icy que ie diuife toutes mes pen- 37 fées en certains genres, & quo ie confidere dans lefquels de ces genres il y a proprement de la vérité ou de l'erreur.

Entre mes penfées, quelques-vnes font comme les images des chofes, & c'ert à celles-là feules que conuient proprement le nom d'idée : comme lorfque ie me représente vn homme, ou vne Chi- mère, ou le Ciel, ou vn Ange, ou Dieu mefme. D'autres, outre cela, ont quelques autres formes : comme, lorfque ie veux, que ie crains, que i'affirme ou que ie nie, ie conçoy bien alors quelque chofe comme le fujet de l'adion de mon efprit, mais i'adjoulte auffi quelque autre chofe par cette adion à l'idée que i'ay de cette chofe- là; & de ce genre de penfées, les vnes font appellées volontez ou affedions, & les autres iugemens.

Maintenant, pour ce qui concerne les idées, û on les confidere feulement en elles-mefmes, & qu'on ne les rapporte point à quelque autre chofe, elles ne peuuent, à proprement parler, eftre fauffes; ca ■ foit que i'imagine vne Chèvre ou vne Chimère, il n'efi pas moins vray que i'imagine l'vne que l'autre.

11 ne faut pas craindre auffi qu'il le puiffe rencontrer de la fauffeté dans les affedions ou volontez ; car encore que ie puiffe defirer des chofes mauuaifes, ou mefme qui ne furent iamais, toutesfois il n'eft pas pour cela moins vray que ie les defire.

Ainfi il ne reffe plus que les fèuls iugemens, dans lefquels ie dois prendre garde foigneufement de ne me | point tromper. Or la prin- 33 cipale erreur t^ la plus ordinaire qui s'y puiffe rencontrer, confifte en ce que ie iuge que les idées qui font en moy ; font femblables, ou conformes à des chofes qui font hors de moy ; car certainement, fi ie confiderois feulement les idées comme de certains modes ou fa- çons de ma penfée, fans les vouloir rapporter à quelque autre chofe d'extérieur, à peine me pouroient-elles donner occafion de faillir.

Or de ces idées les vnes me femblent eftre nées auec moy, les autres eftre étrangères & venir de dehors, | & les autres eftre faites & inuentées par moy-meime. Car, que i'aye la faculté de conceuoir ce que c'eft qu'on nomme en gênerai vne chofe, ou vne veri.é, ou vne penfée, il me femble que ie ne tiens point cela d'ailleurs que de ma nature propre; mais fi i'oy maintenant quelque bruit, fi ie

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