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28 OEuvREs DE Descartes, 35-36.

qu'eft-ce que ie conceuois clairement & diflindement en elles ? Certes rien autre choie finon que les idées ou les penfées de ces choies fe prelentoient à mon efprit. Et encore à prêtent ie ne nie pas que ces idées ne fe rencontrent en moy. Mais il y auoit encore vne autre chofe que i'affurois, & qu'à caufe de l'habitude que l'auois à la croire, ie penfois apperceuoir tres-clairement, quoy que véritable- ment ie ne l'apperceufle point, à fçauoir qu'il y auoit des choies hors de mo}', d'où procedoient ces idées, & aul'quelles elles eftoient tout à fait femblables. Et c'eftoit en cela que ie me trompois; ou, fi peut-eftre ie iugeois félon la vérité, ce n'eftoit aucune connoilfance que i'eufle, qui fuft caufe de la vérité de mon iugement.

Mais lorfque ie confiderois quelque chofe de fort fimple & de fort facile touchant l'Arithmétique & la Géométrie, | par exemple que deux & trois ioints enfemble produifent le nombre de cinq, & autres chofes femblables, ne les conceuois-je pas au moins aflez clairement pour affurer qu'elles eftoient vrayes? Certes fi i'ay iugé depuis qu'on pouuoit douter de ces choies, ce n'a point efté pour autre raifon, que parce qu'il me venoit en l'efprit, que peut- efire quelque Dieu auoit pu me donner vne telle nature, que ie me trompaffe mefme touchant les chofes qui me femblent les plus manifeftes. Mais toutes les fois que cette opinion cy-devant conceuë de la fouueraine puilTance d'vn Dieu fe prefente à ma penfée, ie fuis 36 contraint d'auouer ( qu'il luy eft facile, s'il le veut, de faire en forte que ie m'abufe, mefme dans les chofes que ie croy connoiftre auec vne euidcnce très-grande. Et au contraire toutes les fois que ie me tourne vers les chofes que ie penfe conceuoir fort clairement, ie fuis tellement perfuadé par elles, que de moy-mefme ie me laiffe em- porter à ces paroles : Me trompe qui poura, fi eft-ce qu'il ne fçau- roit iamais faire que ie ne fois rien, tandis que ie penferay eftre quelque chofe ; ou que quelque iour il foit vray que ie n'aye iamais erté, eftant vray maintenant que ie fuis; ou bien que deux & trois ioints enfemble faffent plus ny moins que cinq, ou chofes fem- blables, que ie voy clairement ne pouuoir eftre d'autre façon que ie les conçoy.

Et certes, puifque ie n'ay aucune raifon de croire qu'il y ait quelque Dieu qui foit trompeur, & mefme que ie n'ay pas encore confideré celles qui prouuent qu'il y a vn Dieu, la raifon de douter qui dépend feulement de cette opinion, eft bien légère, & pour ainfi dire Metaphyfique. Mais afin de la pouuoir tout à fait ofter, ie dois examiner s'il y a vn Dieu, fi-toft que l'occafion s'en prefentera; & fi ie trouue qu'il y en ait vn, ie dois auffi examiner s'il peut eftre

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