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20 Œuvres de Descartes. 33-34.

netteté & de diftin£lion ce morceau de cire? Ne me connois-je pas moy-mefme, non feulement auec bien plus de vérité & de certitude, mais encore auec beaucoup plus de diftinétion & de netteté ? Car fi ie iuge que la cire eft, ou exifte, de ce que ie la voy, certes il fuit bien plus euidemment que ie fuis, ou que i'exifte moy-mefme, de ce que ie la voy. Car il fe peut faire que ce que ie voy ne foit pas en effet de la cire ; il peut auffi arriuer que ie n'aye pas mefme des yeux pour voir aucune chofe ; mais il ne fe peut pas faire que, lorfque ie voy, ou (ce que ie ne diltingue plus) lorfque ie penfe voir, que moy qui penfe ne fois quelque chofe. De mefme, fi ie iuge que la cire exifte, de ce que ie la touche, il s'enfuiura encore la mefme chofe, à fçauoir que ie fuis ; & fi ie le iuge de ce que mon imagination me le perfuade, ou de quelque autre caufe que ce foit, 31 ie concluray toufiours la mefme chofe. Et ce que i'ay rejmarqué icy de la cire, fe peut apliquer à toutes les autres chofes qui me font extérieures, & qui fe rencontrent hors de moy.

Or fi la notion & la connoiffance de la cire femble eftre plus nette & plus diftinde, après qu'elle a efté découuerte non feulement par la veuë ou par l'attouchement, mais encore par beaucoup d'autres caufes, auec combien plus d'euidence, de dillinclion & de netteté, me dois-je connoiftre moy-mefme, puifque toutes les raifons qui feruent à connoiftre & conceuoir la nature de la cire, ou de quelque autre corps, prouuent beaucoup plus facilement & plus euidem- ment la nature de mon efprit ? Et il fe rencontre encore tant d'autres chofes en l'efprit mefme, qui peuuent contribuer à l'éclair- ciffement de fa nature, que celles qui dépendent du corps, comme celles-cy, ne méritent quafi pas d'eflre nombrées.

Mais enfin me voicy infenfiblement reuenu où | ie voulois ; car, puifque c'eft vne chofe qui m'eft à prefent connue, qu'à proprement parler nous ne conceuons les corps que par la faculté d'entendre qui eft en nous, & non point par l'imagination ny par les fens, & que nous ne les connoiffons pas de ce que nous les voyons, ou que nous les touchons, mais feulement de ce que nous les conceuons par la penfée, ie connois euidemment qu'il n'y a rien qui me foit plus facile à connoiftre que mon efprit. Mais, parce qu'il eft prefque impoffible de fe deffaire fi promptement d'vne ancienne opinion, il 32 fera bon | que ie m'arrefte vn peu en cet endroit, afin que, par la longueur de ma méditation, l'imprime plus profondement en ma mémoire cette nouuelle connoiffance.

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