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LE LIBRAIRE AV LECTEUR[1]

La satisfaction que ie puis promettre à toutes les personnes d'esprit dans la lecture de ce Liure, pour ce qui regarde l’Auteur & les Traducteurs, m'oblige à prendre garde plus soigneusement à contenter aussi le Lecteur de ma part, de peur que toute sa disgrace ne tombe sur moy seul. Ie tasche donc à le satisfaire, & par mon soin dans toute cette impression, et par ce petit éclaircissement, dans lequel ie le dois icy auertir de trois choses, qui sont de ma connaissance particuliere, & qui seruiront à la leur. La premiere est, quel a esté le dessein de l'Auteur, lors qu'il a publié cét ouurage en Latin. La seconde, comment & pourquoy il paroist aujourd’huy traduit en Français. Et la troisiesme, quelle est la qualité de cette version.

I. Lorsque l'Auteur, après auoir conceu ces Meditations dans son esprit, resolut d'en faire part au public, ce fut autant par la crainte d'étouffer la voix de la verité, qu'à dessein de la soumettre à l'épreuve de tous les doctes. A cét effet il leur voulut parler en leur langue, & à leur mode, & renferma toutes ses pensées dans le Latin & les termes de l'Escole. Son intention n'a point esté frustrée, & son Liure a esté mis à la question dans tous les Tribunaux de la Philosophie. Les Objections iointes à ces Méditations le témoignent assez, & montrent bien que les sçvants du siecle se sont donné la peine d'examiner ses propositions auec rigueur. Ce n'est pas à moy de iuger auec quel succez, puisque c'est moy qui les presente aux autres pour les en faire iuges. Il me suffit de croire pour moy, & d'assurer les autres, que tant de grands hommes n'ont pu se choquer sans produire beaucoup de lumiere.

  1. Avis imprimé, sans pagination, dans la première édition (1647) et dans la seconde (1661). Il est remplacé dans la troisième (1673) par une note « Au Lecteur » du nouvel éditeur, René Fédé. Dans la première édition, cet Avis se trouve aussitôt après l'Epistre aux « Doyen et Docteurs » de la Faculté de Théologie de Paris. Dans la seconde, il ne vient qu'au troisième rang, après la même Epistre et la Préface de l'Auteur au Lecteur. — La première édition ayant été publiée « A Paris, chez la Veuue Jean Camusat, et Pierre Le Petit, Imprimeur ordinaire du Roy », le « Libraire » qui s'adresse ici « au Lecteur » est sans doute Pierre Le Petit.