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comment, de ce que ie ne connois rien autre choſe qui appartienne à mon eſſence, c’eſt à dire à l’eſſence de mon eſprit, ſinon que ie ſuis vne choſe qui penſe, il s’enſuit qu’il n’y a auſſi rien autre choſe qui en effect luy appartienne. C’eſt au meſme lieu où i’ay prouué que Dieu eſt ou exiſte, ce Dieu, dis-ie, | qui peut faire toutes les choſes que ie conçoy 291 clairement & diſtinctement comme poſſibles.

Car, quoy que peut-eſtre il y ait en moy pluſieurs choſes que ie ne connois pas encore (comme en effect ie ſupoſois en ce lieu-là que ie ne ſçauois pas encore que l’eſprit euſt la force de mouuoir le corps, ou de luy eſtre ſubſtantiellement vny), neantmoins, d’autant que ce que ie connois eſtre en moy me ſufit pour ſubſiſter auec cela ſeul, ie ſuis aſſuré que Dieu me pouuoit créer ſans les autres choſes que ie ne connois pas encore, & partant, que ces autres choſes n’apartiennent point à l’eſſence de mon eſprit.

Car il me ſemble qu’aucune des choſes ſans leſquelles vne autre peut eſtre, n’eſt compriſe en ſon eſſence ; & encore que l’eſprit ſoit de l’eſſence de l’homme, il n’eſt pas neantmoins, à proprement parler, de l’eſſence de l’eſprit, qu’il ſoit vny au corps humain.

| Il faut auſſi que i’explique icy quelle eſt ma penſée, lorſque ie dis qu’on ne peut pas inſerer vne diſtinction réelle entre deux choſes, de ce que l’vne eſt conceuë ſans l’autre par vne abſtraction de l’eſprit qui conçoit la choſe imparfaitement, mais ſeulement, de ce que chacune d’elles eſt conceuë ſans l’autre pleinement, ou comme vne choſe complete.

Car ie n’eſtime pas qu’vne connoiſſance entiere & parfaite de la choſe ſoit icy requiſe, comme le pretend Monſieur Arnauld ; mais il y a en cela cet|te difference, qu’afin qu’vne connoiſſance ſoit entiere 292 & parfaite, elle doit contenir en ſoy toutes & chacunes les proprietez qui ſont dans la choſe connuë. Et c’eſt pour cela qu’il n’y a que Dieu ſeul qui ſçache qu’il a les connoiſſances entieres & parfaites de toutes les choſes.

Mais, quoy qu’vn entendement créé ait peut-eſtre en effect les con- noiſſances entieres & parfaites de pluſieurs choſes, neantmoins iamais il ne peut ſçauoir qu’il les a, ſi Dieu meſme ne luy reuele particu- lierement. Car, pour faire qu’il ait vne connoiffance pleine & en- tiere de quelque choſe, il eſt ſeulement requis que la puiſſance de connoiftre qui eft en luy égale cette chofe, ce qui fe peut faire ayſement ; mais pour faire qu’il ſçache qu’il a vne telle connoiſ- fance, ou bien que Dieu n’a rien mis de plus dans cette choſe que ce qu’il en connoift, il faut que, par ſa puiſſance de connoiſtre, il égale la puiſſance infinie de Dieu, ce qui eft entierement impof

Or, pour connoiſtre la diſtinction réelle qui eſt entre deux choſes,