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106-107. Premières Réponses. 8^

chofes fenfibles il y ajoit vn ordre ou vne certaine fucceiïîon de caufes efficientes, partie à caufe que i'ay penfé que l'exiftence de Dieu eftoit beaucoup plus éuidente que celle d'aucune choie fen- fible, & partie auffi pour ce | que ie ne voyois pas que cette Tue- 134 ceffion de caufes me peuft conduire ailleurs qu'à me faire connoiftre rimperfe61:ion de mon cfprit, en ce que ie ne puis comprendre com- ment vne infinité de telles caufes ont tellement fuccedé les vnes aux autres de toute éternité, qu'il n'y en ait point eu de première. Car certainement, de ce que ie ne puis comprendre cela, il ne s'enfuit pas qu'il y en doiue auoir vne première : comme aulfi, de ce que ie ne puis comprendre vne infinité de'diuifions en vne quantité finie, il ne s'enfuit pas que l'on puifle venir à vne dernière, après laquelle cette quantité ne puiffe plus eflre diuifée; mais bien il fuit feule- ment I que mon entendement, qui efl fin}-, ne peut comprendre l'in- finy. C'ert pourquoy i'ay mieux aymé apuier mon raifonncment fur l'exiftence de moy-mefme, laquelle ne dépend d'aucune fuite de caufes, & qui m'elt fi connue que rien ne le peut efire dauantage; &, m'interrogeant fur cela moy-mefme, ie n'ay pas tant cherché par quelle caufe i'ay autrefois eflé produit, que i'ay cherché quelle efi la caufe qui à prefent me conferue, afin de me deliurer par ce mo\ en de toute fuite & fucceflion de caufes. Outre cela, ie n'ay pas cher- ché quelle efl la caufe de mon efire, en tant que ie fuis compofé de orps & d'ame, mais feulement & precifément en tant que ie fuis ,ne chofe qui penfe. Ce que ie croy ne feruir pas peu à ce fujet, car ainfi i'ay pu beaucoup mieux me deliurer des preiugez, conlidercr ce que dicte la lumière naturelle, m'interroger | moy-mefme, & 137 » tenir pour certain que rien ne peut efire en moy, dont ie n'aye quelque connoiffance. Ce qui en effecl ei\ autre chofe que fi, de ce que ie voy que ie fuis né de mon père, ie confiderois que mon père vient aufli de mon ayeul; & fi, parce qu'en cherchant ainfi les pères de mes pères ie ne pourois pas continuer ce progrez à l'infiny, pour mettre fin à cette recherche, ie concluois qu'il y a vne première caufe. De plus, ie n'ay pas feulement cherché quelle eft la caufe de mon eftre, en tant que ie fuis vne chofe qui penfe, mais principale- ment en tant qu'entre plufieurs autres penfées, ie reconnois que i'ay en moy l'idée d'vn efire fouverainement parfait; car de cela feul dépend toute la force de ma demonftration. Premièrement, parce que cette idée me fait connoifire ce que c'eft que Dieu, au moins autant que ie fuis capable de le connoiftre; &, félon les loix de la

a. Voir ci-avant, p. 8i, note a.

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