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93-94- Premières Objections. 715

Moufieitr des-Carlas a dit autrefois du Iriangk : Encore que peut- eilre, dit-il, il n'y ait en aucun lieu du monde hors de ma penfée vne telle figure, & qu'il n'y en ait iamais eu, il ne lailTe pas neant- moins d'y auoir vne certaine nature, ou forme, ou eflence déter- minée de cette figure, laquelle eft immuable & éternelle. Aijifi cette vérité ejï éternelle, & elle ne requiert point de cauje. Vn bateau ejl vn bateau, & rien autre chofe ; Dauus e/l Dauus, & non Œdipus. Si neanlvtoins vous me prejfe- de vous dire vne rai/on, ie vous diray que c'ejî l'imperfeâion de nojlre e/prit, qui n'cjl pas injînj ; car, ne pouuant par vne feule apprehenfwn embrajjer l'vniuerfel, qui efi tout enfemble & tout à la fois, il le diuife & le partage ; & ainfi ce qu'il ne fçauroit enfanter ou produire tout entier, il le conçoit petit à petit, ou bien, comme on dit en l'efcole (inadéquate) imparfaitement & par partie.

Mais ce grand homme pourfuit : Or, pour imparfaijte que foit H9 cette façon d'eftre, par laquelle vne chofe eft obie6liuement dans l'entendement par fon idée, certes on ne peut pas neantmoins dire aue cette façon & maniere-là ne foit rien, ny par confequent que cette idée vienne du néant.

Il y a icy de l'equiuoque ; car,fi ce mot Rien efl la mefme chofe qrie n'eflre pas aéîuellement, en ejfecî ce n'efl rien, parce qu'elle n'efl pas acluellement, & ainfi elle vient du néant, c'efl à dire qu'elle n'a point de caufe. \ Mais Ji ce mot Rien dit quelque chofe de feint par iefprit, qu'ils appellent vulgairement Eftre de raifon, ce n'efl pas vn Rien, mais quelque chofe de réel, qui efl conceuë di/linélement. Et neantmoins, parce qu'elle efl feulement conceuë, 6 qu'aâuellement elle n'efl pas, elle peut à la vérité ejlre conceué, mais elle ne peut aucunement eflre caiifée, ou mife hors de l'entendement.

Mais ie veux, dit-il, outre cela examiner, fi moy, qui ay cette idée de Dieu, ie pourrois eftre, en cas qu'il n'y euft point de Dieu, ou comme il dit immédiatement auparauant, en cas qu'il n'y euft point d'ellrc plus parfait que le mien, & qui ait mis en moy fon idée. Car, dit-il, de qui aurois-ie mon exiftence? Peut-eftre de moy-mefme, ou de mes parens, ou de quelques autres, &c. Or eft-il que, fi ie l'auois de moy-mefme, ie ne douterois point, ny ne defirerois point, & il ne me manqueroit aucune chofe; car ie me ferois donné toutes les perfeflions dont i'ay en moy quelque idée, & ainfi moy-mefme ie ferois Dieu. Que fi i'ay mon exiftence d'au- truy, ie viendray enfin à ce qui l'a de | foy ; & ainfi le mefme 120 raifonnement que ie viens de faire pour moy eft pour !uy, & prouue qu'il eft Dieu. Voila certes, à mon auis, la mefme voje que