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CCCXXXI. — n Décembre 164}. 59

» modération, l'ordre, et la facilité que ce dernier auoit à communiquer » ses pensées aux personnes qui estoient curieuses de les entendre. le n craignis d'abord que ce Philosophe ri'eust pensé trop subtilement, et ie » me defiay du succès de ses spéculations, de mcsme que de son détache- » ment de l'ambition, lors que ie vis qu'il auoit de la peine à m'instruire » sur le champ des choses qu'il auoit méditées, et lors qu'il me fît mystère j> de ce dont il deuoit estre bien aise de conférer aucc vne personne docile » et non préoccupée. Mon suiet de crainte s'augmenta, lors qu'en la suite » du discours il me rit paroistre de l'aigreur contre M. Gassendi, le » meilleur de tous les hommes, traictant aucc beaucoup de mespris ses » obicctions contre sa Métaphysique, et se mocquant des instances qu'il » n'auoit pas encore publiées. Qu'il ne les cache point, me dit-il, ou qu'il » ne les face pas courir a Paris seulement entre les mains de mes aduer- ■ saires: mais qu'il les laisse paroistre en public, et ie verray si elles sont » dignes que i'y responde. Le ton de voix dont il vsa, et le corps de ce » discours me rirent comprendre que M. Descartes philosophoit auec vn » peu d'ambition, et à dessein d'acquérir de la renommée, ou mcsme de rendre chef de secte, comme il n'a pas fait difficulté de l'aduouer en » diuers endroits de ses ouurages. le vous aduoué que cela me depleut, » et que i'eusse bien désiré qu'il n'eust philosophé que pour philosopher, u pour le seul interesl de la Vérité, pour sa propre satisfaction, et auec » vue entière indifférence pour la réputation, et pour le nom qui s'acquiert n dans les Académies. »

« le sçav bien qu'il est mal-aisé que cela se rencontre parfaictement » dans les hommes sçauants, que la gloire chatouille, malgré qu'ils en » ayent; mais il me sembloit que ie voyois cette indifférence en vn degré » fort emi nem par dessus M. Descanes en nostre M. Gassendi ; et comme » cela me donnoit plus de vénération pour ce dernier, i'eus plus de har- »> diesse à examiner de moy mcsme les raisonnemens de Monsieur Des- » cartes. I'escriuis au P. Mersenne et à M. Gassendi, et ie ris tant d'ins- » tances que le manuscript de la Disquisition Métaphysique me fust » enuoyé. le le ris imprimer aucc vn aduertissement du Libraire, oit ie » témoignav que M. Gassendi estoit, en l'estime que i'en faisois, vn degré » au dessus de M. Descartes, quoy que véritablement t'estimasse M. Des- » cartes infiniment. En quoy ie ne croyois point de luy faire tort, puisque » le second rang, ou le troisiesme, dans l'Empire des Lettres, ne peut » estre que très honorable, et duquel se doiucnt contenter ceux qui ne » songent point à la tyrannie. Mais il y a des personnes qui ne peuuent « supporter de supérieur ny d'égal; qui s'estimeroient mesprisées, si elles » ne dominoient par tout; et bien que ces vaines prétentions puissent n venir du sentiment intérieur de ce que l'on vaut, elles me semblent » neantmoins indignes d'vn Philosophe. De ce costé 4à il est certain que « M. Descaries estoit moins Philosophe que nostre ami. » {Lettres et Discours de M. dk Sokbikri: sur diuerses matières curieuses. Paris, F, Clousicr, r»J6o, p. 684-686.)

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