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éblouir ; j’acceptais tout ce qui brillait à mes yeux, à mon esprit. Il y avait sur les visages qui me regardaient, tant de bienveillance pour moi, parce que je ne savais pas nuire ni lutter avec mes facultés ! Le temps creusa sous mes pas, et je fis ma première chute. En me relevant, je portai la main à mon visage, il était ridé ; à mon front, il était chauve. Aussitôt je compris les douleurs du corps, je compris cette profonde douleur de n’avoir pas su que la force, était limitée, qu’après un terme fixé d’avance, la réflexion impuissante vient à l’être qui vieillit et dégénère. Alors je luttai. — « Se peut-il, me dis-je, que je me survive désormais, et que j’aie une ardeur dévorante, mais vaine, d’arriver au secret de la divinité, quand je n’ai déjà plus toute la sève de l’homme ? privé des moyens, acceptons la tâche ; soyons fort sans force, en remplaçant nous-même celle qui nous avait été accordée, un matin de printemps, comme par dérision. » Je pris de la matière, je la façonnai à mon image. Puis, dressé sur la plus haute montagne, je guettai le soleil, comme s’il ne devait pas me voir en jetant sur moi sa lumière, et feignant de me vouloir échauffer, je lui dérobai un rayon de vie et d’immortalité.

LE CHŒUR.

C’est là ton crime. Devais-tu vouloir arriver à Dieu ou y faire arriver ton essai informe ?

PROMÉTHÉE.

Oh ! quelle ivresse de succès me gonfla le sein quand je tins mon trésor ! J’étais donc enfin dans la voie éternelle, incommensurée ; j’allais créer à mon tour, seul et fort comme le fut mon créateur ; seul, avec la faculté de