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vait ni pourquoi je donnais à ses pas la même direction qu’aux miens. Désespéré, j’en appelai au ciel ; pauvre fou que j’étais !… le ciel s’ouvrit, il laissa passer sa justice, sa justice foudroyante dont je suis le trophée éternisé. Je me souviens qu’au jour où, moi aussi, je créais, je pris en grande pitié les faibles hommes dont j’avais partagé l’héritage misérable : eh bien ! le résultat de ma faute rampa bientôt au-dessous du dernier homme. Cruelle, inévitable leçon ! Tantôt, je le reconnais, la force nous manque et tantôt la sagesse ; notre voix c’est du bruit, notre corps un peu de poussière, l’homme s’agite pour s’user, il monte pour descendre, il s’épuise à mourir, et s’il domine son tombeau, il se croit encore grand… Oui, je suis puni, oui, j’ai le front sillonné par la foudre. Mon cœur s’est embrasé de rage, parce que mes mains n’ont pas même pu menacer le ciel. Cependant, ô maître souverain, ta rigueur n’aura eu d’effet que sur moi. Partout où tu sévis, partout où tu pardonnes, on s’achemine audacieusement vers le mystère de ton être et de ton pouvoir. L’homme fait une trouée vers toi, son besoin de savoir se fortifie des obstacles ; en lui refusant l’accomplissement, tu ne peux lui défendre la volonté ; si bas que tu l’aies relégué, tu as oublié quelque échelon qui l’élèvera un jour jusqu’à toi. Crois-tu que l’homme, fatigué de son insuffisant bonheur, ne puise pas dans l’égoïsme assez d’amour divin, assez d’impatience du ciel, pour grandir violemment sa nature ? Ne savais-tu pas aussi qu’en symbolisant ma douleur, cette douleur trouverait de la pitié et soulèverait d’éternelles plaintes ; que sur mon rocher je représenterais l’humanité étroitement enchaînée ? Va ! l’exemple de mon châtiment se brisera contre l’insouciante ardeur de ceux qui se précipiteront sur mes traces vers la science. La science, je la vois empreinte du caractère des siècles,