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lettre reçue ou d’un nom évoqué. Ne comprend-on pas ce que Gœthe nous donne de lui-même dans ces conversations qui, recueillies par un miracle de zèle, n’ont pas été le produit calculé du travail, comme la correspondance d’un Pline ou d’un Balzac ? Ici plus d’apprêt, pas de mise en scène. Tout est sincère, tout est spontané. Tel jugement que la familiarité semble improviser sera définitif et plus réfléchi qu’une opinion écrite de Gœthe. En réalité, c’est le premier jet et le le plus pur de sa pensée que le poëte-critique nous livre, c’est sa conscience même qui se dévoile à nous avec une franchise sans mélange et une respectable ingénuité.

« Que ne donnerait-on, » s’écriait un humoriste anglais, « pour un livre où seraient recueillies toutes les opinions littéraires d’un Racine ou d’un Shakspeare ! » Ce livre existe maintenant pour Gœthe. Que de jugements se succèdent devant nos yeux, décisifs comme des sentences sans appel, et portés par Gœthe sans préméditation comme sans arrière-pensée ! Gœthe causant de Ménandre ou de Carlyle, est-il un spectacle plus intéressant et plus curieux ? D’abord, à cette vue, un préjugé se dissipe. On ne peut plus croire à ce Gœthe légendaire, à cet impassible Jupiter de Weimar. Le poëte du Divan ne perd rien de son olympienne sérénité ; c’est toujours un dieu, mais un dieu commode, paternel quand il le faut, indulgent et disposé à se laisser approcher par les plus humbles mortels. Quel est, en effet, l’interlocuteur de celui qui parle avec autant d’élévation et d’aménité que Socrate ? Est-ce un