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pièces nous voyons la rudesse et l’âpreté se mêler étrangement à la tendresse la plus émouvante. Si passionnés qu’ils soient, la plupart de ces amoureux ressemblent à cet Aiskhinès qui, trompé par sa maîtresse Kyniska, commence par lui appliquer une paire de soufflets avant de gémir et de se lamenter devant nous.

A côté de cet amour rustique mêlé de grâce et de brutalité, Théocrite a peint de traits ineffaçables une autre sorte d’amour dont l’expression est familière aux poëtes grecs : c’est la passion considérée comme un — mal sacré, un divin délire. Pour être surtout un entraînement physique, cet amour n’en ronge pas moins l’âme ; mais ses ravages sont visibles sur le corps même. Simœtha, l’héroïne dela deuxième idylle, porte ce douloureux caractère d’une maladie mystérieuse. Qu’importe le titre de la pièce ? Ce n’est pas une magicienne, une enchanteresse, une sœur aînée de Canidie ; c’est une délaissée, une Ariane, non pas résignée aux plaintes éloquentes comme l’abandonnée de Naxos, mais rebelle contre la fatalité qui l’opprime. Dans les conjurations magiques, elle cherche un secret pour reconquérir un amant. Le fantastique appareil de cette scène ne nous arrête pas, car ce qu’elle demande à la bergeronnette, c’est de ramener Delphis. Ses menaces, ses vœux sinistres, comme elle les retirerait avec horreur, si elle n’était égarée et même inspirée par la démence ! Tout entière elle est la proie de l’amour, « qui a sucé son sang comme une sangsue des marais. » Pour elle, l’amour n’a pas été prodigue de ces suaves enchantements dont l’idylle nous avait fait deviner le calme et la