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mot tout ce qui pourrait dépasser le niveau d’idées de cette foule où l’on aime à cacher sa vie. Mais ce systématique effacement, ce mal que l’on croirait exotique, est-il propre à la jeunesse ? est-il même particulier à notre siècle ? Il a presque toujours existé dans un pays où de tout temps l’usage et la mode ont façonné les inflexions des esprits. La cour du grand roi était peuplée de Dangeaux et de La Feuillades. Devant le soleil impérieux Montansier se courbait jusqu’à laisser choir la vertu. Depuis, l’horreur de l’individualité est devenue un des signes du temps ; mais l’individualité n’en proteste pas moins contre ce nivellement des caractères par des manifestations éclatantes. Que de fois l’originalité s’est-elle dressée devant nous, là où nous nous attendions le moins à la voir surgir ? Au XVIIe siècle comme au XVIIIe, elle n’étaitpas universelle, que nous sachions. Les êtres distincts, les créatures vigoureuses ot fortes qu’elle a fait jaillir alors ont trouvé leurs pareils dans notre âge si méconnu. Il n’est pas nécessaire de s’élever au sommet de la pensée pour conquérir la personnalité complète et définie. La maturité vient pour nous ; on ne jugera la génération nouvelle que quand elle aura achevé de dépouiller la robe prétexte, c’est-à-dire dans quelques années. Qu’on laisse à beaucoup d’entre nous le temps de se mûrir et de produire, et l’on verra si leur individualité n’éclate pas dans sa hardiesse native et dans son indépendance assurée. Un grand nombre renonceront à ce glorieux privilége d’être soi, mais la compensation sera éclatante. Ceux qui s’annoncent se montreront aussi fidèles