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structure des vers que par lentes et longues réflexions ; là-bas, on y arrive du premier coup, sans connaître d’obstacles, par intuition. Tels les anciens Grecs, à la fois matelots du Pirée, corroyeurs de Munychie et dignes auditeurs de Sophocle et d’Aristophane !

En France, que de mois il faudrait user pour rendre les poètes accessibles à la majorité des esprits ! Un Italien est par la vertu de sa nature de plain-pied avec les plus sublimes ou les plus charmants génies ; les visions dela grandeur et de la grâce habitent d’assez bonne heure son cerveau pour que les images idéales de Dante et de Tasse n’étonnent point le pêcheur ou le gondolier. Sans cette aptitude à voir, à sentir, à s’exprimer poétiquement, expliquerait-on les chefs-d’œuvre semés dans ce volume, la poésie populaire atteignant sans effort la perfection des maîtres ? Est-il un spectacle qui suggère davantage l’idée d’une race formée pour le culte et l’adoration du beau ? Or, il y a dans ce recueil des riens délicats que jalouserait l’Anthologie, des petits tableaux aux exquises proportions qui n’ont rien à envier aux lieder les plus achevés de l’école souabe. Figurez-vous ces obscurs inspirés plus poètes mille fois que les doctes de leur pays, pénétrés d’émotions vraies ou traversés d’élans de passion, et toujours assez maîtres d’eux-mêmes, assez doués de mesure et de goût pour concentrer cette passion dans une brièveté énergique, pour préciser cette émotion par une classique simplicité.

C’est ainsi que le peuple italien s’est fait à lui-même une poésie. Je n’expliquerais pas seulement ce phénomène