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Au moment où la sainteté de la paix s’affirme dans les meilleurs esprits, Paul de Molênes croyait encore à l’infaillibilité et à la supériorité de la guerre. Où nous plaçons le culte raisonné du droit, il établissait, comme nos pères, le culte spontané de la force. Plus que M. de Laprade, qui a chanté le glaive dans une ode si belliqueuse, Paul de Molênes fut le poëte de l’épée, cette arme à deux tranchants, diabolique et divine, qui a fait tant de bien au monde avec les Gustave-Adolphe, tant de mal avec les Wallenstein. Les humanitaires outrés n’ont guère vu que le flamboiement diabolique ; Paul de Molênes ne vit que l’éclair divin. Ce fut l’erreur ou plutôt l’excès d’une intelligence nourrie des hymnes au Dieu des armées, élevée dans la croyance à la doctrine de Y Expiation par les de Bonald et les de Maistre. De là pour Paul de Molênes, par cette éducation spéciale et ces vues si peu communes, une prédestination à l’originalité.

Pénétré de l’idée du sacrifice, Paul de Molênes, de bonne heure, ne vit rien au-dessus de la guerre et de la destinée du soldat. Les hôtes brillants ou obscurs de la caserne ou de la tente lui parurent les modernes chevaliers, et par suite les seuls êtres vraiment poétiques dans une civilisation affectée de prosaïsme. Il fut le Balzac de la vie de garnison, de bivac, de congé. Que par moments, dans ce choix de héros en épaulettes, il se trahisse une certaine affectation, nous l’admettons, sans en être frappé, car rien ne sent la gêne et le factice dans ces pages libres et franches. Ch. Baudelaire a pu appeler de Molênes un dandy, car il y a du dandysme