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réelle d’intérêts et de sentiments : l’une vint des hétaïres, l’autre des philosophes et des poëtes.

L’amour n’était encore que sensibilité, avec les hétaïres il devint intelligence. Ces filles étranges, qui renonçaient aux honneurs du mariage moins pour se soustraire aux obligations de la famille que pour satisfaire toutes les curiosités de leur esprit, firent comprendre pour la première fois aux hommes éblouis que la femme aimée pouvait partager leurs admirations littéraires, leurs enthousiasmes artistiques, aussi bien que leurs craintes et leurs douleurs. La pensée féminine, qui n’habitait jusque-là que la maison, se transportait maintenant au théâtre ou sur l’Agora avec la pensée de l’homme. Et quels objets s’offraient à cette pensée en éveil ! Les statues rhythmiques comme des poëmes, les poëmes marmoréens comme des statues, l’Orestie d’un Eschyle, le Parthénon d’un Phidias, conception toute moderne du rôle de la femme ! car plus nous nous rapprochons des âges futurs et meilleurs, plus la femme pénètre les secrets du génie et seconde par sa sympathie ceux qui essayent de les comprendre ou de les retrouver. Or toute révolution s’incarne dans une apparition épique. Cette alliance imprévue de l’intelligence avec l’amour, pour nous, se personnifie dans Aspasie, et la postérité n’a pas cessé de contempler avec un curieux enthousiasme celle qui fut l’amie de Socrate, de Phidias, d’Alcibiade, et plus qu’une amie pour Périclès ; celle qui fit connaître à ces sortes de demi-dieux l’admiration domestique, plus excitante encore que les applaudissements du public, et qui fut