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VIE DE NAPOLÉON Ier

de marcher, toujours droit devant moi, vers ce beau pays où l’on fait tant de vœux pour mon bonheur.

Nous creusons, à l’aide de nos armes, une fosse dans laquelle nous enterrons ma cousine et sa petite fille.

Un peu de neige fondue avait coulé sur le front de ma filleule quand nous l’avions baptisée dans une grange où beaucoup des nôtres devaient périr misérablement, un peu de neige couvrit ses restes mortels !…

Avant de quitter ces tristes lieux, nous examinâmes les cadavres de nos pauvres camarades. Tous étaient littéralement hachés. Mon cousin, la vieille cantinière, son mari et quelques autres camarades avaient sans doute été conduits en captivité ; dans ce cas, ils étaient plus à plaindre que les morts.

Mon compagnon d’infortune avait lu beaucoup de relations de voyages. Il me raconta comment les Canadiens ne craignent pas d’entreprendre de longs voyages au cœur de leur hiver aussi dûr peut-être que celui de la Russie. « La neige elle-même, dit-il qui nous effraye tant en ce moment, leur sert à se procurer un abri, s’il leur arrive d’être trop éloignés d’une habitation. Regardez, ajouta-t-il, comme elle s’est amoncelée au centre de ce groupe de sapins qui semblent plantés exprès pour nous offrir un abri. Nous allons nous y faire un lit et nous y dormirons comme des princes. Voilà une heure que nous marchons, les cosaques ont renoncé, au moins pour cette nuit, à venir nous tenir compagnie. »

Noble cœur ! il disait cela en riant, pour chasser mes soucis, et lui-même avait la mort dans l’âme !

Nous eûmes beaucoup de peine à nous creuser un nid sous le petit dôme de verdure ; mais la fatigue nous procura une réaction qui nous permit de dormir jusqu’au matin et d’oublier pour quelques heures nos chagrins et nos souffrances.