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d’abord deux de ses enfants, puis, arrivée à deux lieues de Wilna, elle succomba elle-même.

Les renseignements que lui donna la dame française eurent sans nul doute pour effet d’augmenter le découragement de l’empereur. Il fit des propositions de paix qui n’obtinrent d’autre résultat qu’une trêve.

L’ennemi savait qu’il nous tenait !

Le 18 octobre, Napoléon reçut du même coup deux nouvelles affligeantes : la trêve était rompue et Murat, surpris dans ses cantonnements par les troupes de Kutusof, avait perdu deux mille hommes et douze pièces de canon.

Et, le 19, il ordonna la retraite.

Arrivé au village de Krasnoskoë, il envoya au général Berthier la lettre suivante, qui n’est pas précisément la page la plus glorieuse de son histoire :

« Mon cousin, ordonnez au duc de Trévise de faire partir demain, à la pointe du jour, les hommes fatigués et éclopés du corps du prince d’Eckmühl et du vice-roi, de la cavalerie á pied et de la jeune garde, et de diriger le tout sur Mojaïsk. Le 22 ou le 23, à deux heures du matin, il fera mettre le feu au magasin d’eau-de-vie, aux casernes et aux établissements publics, hormis la maison des enfants trouvés. Il fera mettre le feu au palais du Kremlin ; il aura soin que tous les fusils soient brisés en morceaux, et qu’il soit placé des poudres sous la tour du Kremlin ; que tous les affûts soient brisés ainsi que les roues des caissons. Quand ces expéditions seront faites, que le feu sera en plusieurs endroits du Kremlin, le duc de Trévise quittera le Kremlin, et se portera sur Mojaïsk.

À une heure, l’officier d’artillerie chargé de cette besogne fera sauter le Kremlin, comme il en a reçu l’ordre. Sur la route il brûlera toutes les voitures qui seraient restées en arrière, fera, autant que possible, enterrer les cadavres, briser tous les fusils qu’il pourra rencontrer. Arrivé au palais Galitzin, il y prendra les Espagnols et les Bavarois qui s’y trouvent, fera mettre le feu aux caissons et à tout ce qui ne pourra pas être transporté. Il ramassera tous les commandants de postes et reploiera les garnisons. Il arrivera le 25 à Mojaïsk, et il recevra là des ordres ultérieurs pour se mettre en communication avec l’armée. Il laissera, comme de raison, une forte arrière-garde de cavalerie sur la route de Mojaïsk ; il aura soin de rester à Moscou jusqu’à ce qu’il ait vu lui-même le Kremlin sauter ; il aura soin de faire mettre le feu aux deux maisons de l’ancien gouverneur et à celle de Razumowsky. »

« Napoléon. »

Les Russes brûlaient des villes pour se défendre… Moins excusables que ces sauvages, nous détruisions des chefs-d’œuvre pour nous venger !

Le 22, nous entendîmes une explosion formidable.

C’était le Kremlin qui sautait.