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Le 14 septembre, le feu se déclara à plusieurs endroits et attaqua surtout d’énormes bâtiments servant d’entrepôts où de grandes quantités de marchandises étaient amoncelées.

Ce ne fut pas sans peine qu’on sauva tout un quartier embrasé, car Rostopchin avait eu soin de détruire toutes les pompes à incendie et de faire mettre en liberté environ 800 forçats, qui, en retour, s’engagèrent à mettre le feu aux quatre coins de la ville.

La nuit suivante, nouvel incendie, plus violent que le premier. Le Kremlin, où Napoléon s’était réservé des appartements, fut sérieusement menacé et l’empereur se retira dans le palais impérial de Petrowskoë, à environ une lieue de la ville. On avait beau fusiller les misérables que l’on surprenait la torche incendiaire à la main, à tout moment de nouveaux incendies se déclaraient. Plus d’une fois nous avons vu des individus déguenillés, à moitié ivres, qui jetaient dans les caves et les magasins des matières explosibles ; dans certaines maisons, les poëles étaient bourrés de bombes qui devaient faire des ravages incalculables.

Le 20 septembre, Napoléon revint au Kremlin. Cette forteresse historique et quelques maisons isolées étaient seules restées debout.

Voici, au sujet de cette véritable catastrophe, un extrait du rapport officiel de M. Daru :

« Pendant les trois derniers mois, le gouvernement russe, prévoyant le danger de la lutte et l’impossibilité d’empêcher l’armée française d’arriver à Moscou, avait pris la résolution d’employer comme moyens de défense l’incendie et la destruction.

Dans ce dessein, le gouvernement accepta les propositions du docteur Schmidt, Anglais, d’origine allemande, mécanicien et machiniste ; il était arrivé en Russie au commencement du mois de mai.

Après plusieurs conférences secrètes avec les principaux conseillers, il alla résider au château de Woronzoff, situé à six werstes de la ville, sur la route de Kalouga.

Un détachement de 160 hommes d’infanterie et de 12 dragons avait été envoyé au château pour protéger les opérations mystérieuses de Schmidt et empêcher les curieux d’obtenir accès auprès de lui ; là, il avait construit un ballon aérostatique de grande dimension, prétendant qu’il voulait y renfermer une machine destructive qu’il assurait pouvoir diriger à plaisir.

Environ quinze jours avant l’entrée de l’armée française à Moscou, dix gros barils de poudre furent envoyés à Woronzoff avec des artificiers qui devaient travailler sous les ordres du docteur Schmidt.

Cette prétendue construction d’un ballon n’était qu’un prétexte ; on ne faisait autre chose au château de Woronsoff que de préparer des feux et construire des machines incendiaires.

Toutes les dépenses occasionnées pour la construction de ces machines furent payées par le gouvernement russe ; le comte Rostopchin, gouverneur militaire de Moscou, étant certain, après la bataille de Moskowa, que les Français ne tarderaient pas à arriver, se détermina à mettre à exécution le plan de brûler cette capitale par tous les moyens en son pouvoir.

Il publia alors une proclamation aux habitants, contenant le passage suivant : « Armez-vous ! il n’importe de quelles armes, mais surtout de fourches, qui sont ce qu’il y a de mieux à employer contre les Français, qui ne pèsent pas plus qu’une botte de paille ; si nous ne pouvons les vaincre, nous les brûlerons dans Moscou, s’ils ont la témérité d’y entrer. »