Page:Des Érables - La guerre de Russie, aventures d'un soldat de la Grande Armée, c1896.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.

X

PAGES SANGLANTES

UNE grande bataille est un drame dont les acteurs ne sauraient raconter toutes les péripéties. Pour décrire ce qui s’est passé depuis notre départ de Smolensk jusqu’au désastre de la Bérésina, j’aurai donc recours aux ouvrages des historiens les plus impartiaux, en y ajoutant les détails que j’ai recueillis personnellement et… à mes frais.

Kutusoff venait donc d’être nomme général en chef des armées Russes. Répondant aux vœux des vieux Moskovites et suivant ses propres inspirations, il résolut de livrer une bataille décisive. Ses troupes, fraîches, pourvues de tout, fanatisées, souhaitaient ardemment d’en venir aux mains avec les envahisseurs. Leurs rangs recevaient sans cesse de nouvelles recrues ! " C’était la guerre Sainte " qui recommençait.

Nous avancions à marches forcées, nous félicitant d’être si près de la solution finale. Le combat accepté par les Russes devait, pensions nous, terminer la guerre.

Nos régiments, tous incomplets, étaient loin d’être aussi brillants qu’au départ. La distribution des vivres ne se faisait plus que d’une façon très irrégulière, et la maraude commençait à devenir infructueuse. Les paysans fuyaient à notre approche, ne laissant après eux que leurs fermes en flammes. Souvent même ils se retournaient pour nous envoyer des coups de fusil ; chose plus triste encore, les munitions commençaient à manquer.

Le 5 septembre, premier combat ; le soleil brillait dans tout son éclat, pas un nuage ne ternissait l’azur du ciel et sur les champs de blé, ravagés par la cavalerie, voltigeaient gaiement des nuées de petits oiseaux. Malgré nos misères, la joie régnait dans tous les cœurs et l’ardent désir de combattre nous faisait oublier nos fatigues.

Les Russes, massés sur les hauteurs de Borodino, nous attendaient de pied ferme. À droite, sur la route de Kalouga, s’élevait une redoute qu’il fallait enlever avant tout.

Conduits par l’héroïque Poniatowski, les Polonais montent à l’assaut en poussant un cri de guerre qui retentit au loin ; ils vont enfin tirer vengeance d’une longue oppression !

Murat, toujours à la tête de la cavalerie, soutient l’attaque. Davoust, Compans, Friand et Morand, suivent de près ; c’est un coup d’œil grandiose et terrible. La division Compans marche avec autant de calme et de précision que s’il s’agissait d’une simple parade. Les Russes, attaqués à la baïonnette, sont forcés d’évacuer la redoute. Mais bientôt ils reviennent