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LA GRANDE ARMÉE

EN 1812, Napoléon Ier dictait la loi à tous les pays du continent européen. Les monarques les plus puissants s’inclinaient devant lui, et, comme l’a dit un de ses historiens, ses soldats devenaient comtes et ducs, ses ministres devenaient princes et ses frères devenaient rois.

Ses armées faisaient trembler le vieux monde et inquiétaient le nouveau ; du côté de la Russie, il avait les Polonais de Varsovie, commandés par le vaillant Poniatowski, tenant en échec les cosaques d’Alexandre Ier.

La Prusse était surveillée de près par Jérôme de Westphalie et les princes de la Confédération du Rhin.

Davoust, à la tête de deux cent mille Français, avait son quartier-général à Hambourg.

Joseph Bonaparte, le frère aîné de l’empereur, était roi d’Espagne, et Murat, le brillant cavalier, occupait le trône du royaume de Naples.

Mais, si grande que fût sa puissance, Napoléon n’était pas satisfait. Il cherchait continuellement à reculer les limites de son empire, et, ne pouvant enlever la mer aux Anglais, n’osant les attaquer dans leur île, il voulut leur fermer les ports du continent.

— Plus de marchandises anglaises en Europe ! tel fut son cri de guerre.

Son rêve était la ruine de l’Angleterre par le blocus continental.

Il rechercha, pour atteindre ce but, l’alliance de tous les monarques européens. Au traité de Tilsitt, jouant le rôle de maître du monde, il fit cadeau d’un district, celui de Bialystok, à l’empereur Alexandre de Russie, à condition que celui-ci fermerait les frontières de son immense pays au commerce anglais.

L’adhésion de la Russie devait porter le coup fatal à l’Angleterre, car elle donnait à Bonaparte un allié dont le territoire occupait à lui seul la vingtième partie du globe et la neuvième partie de la terre ferme.

Dans l’impossibilité où il se trouvait de réduire son ennemie par la force des armes, Napoléon crut pouvoir l’anéantir en la poussant à la banqueroute. Ses douaniers couvraient tous les rivages européens, saisissaient et brûlaient sur les places publiques toutes les marchandises débarquées sur le continent ou saisies à bord des navires britanniques, auxquels les croisiers français donnaient continuellement la chasse.

On commençait à espérer que l’Angleterre, fatiguée d’une longue guerre et se voyant menacée dans ses plus chers intérêts, demanderait à faire la