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LE RETOUR AU PAYS

MON compagnon de voyage se montra digne de sa charitable mission. Il ralentissait le pas quand il me voyait fatigué, me fit bien accueillir dans deux fermes bâties le long de notre route et m’y procura un bon gîte pour la nuit.

Le soir du troisième jour, nous arrivâmes au terme de notre voyage.

Inutile de dire que j’étais très-inquiet, malgré la lettre de recommandation que m’avait remise mon protecteur. Le baron allait-il me faire un bon accueil ? Ne se contenterait-il pas de me remettre un léger secours et de me dire après cela : « Voilà la route que vous avez à suivre, et que Dieu vous bénisse ! » Tout le monde n’est pas disposé à risquer sa fortune et sa liberté pour le plaisir de soulager la misère d’un étranger.

J’avais tant souffert depuis quelques mois, qu’il m’était impossible de croire que je m’en tirerais aussi bien ici que chez le charitable comte.

Je ne restai pas longtemps dans le doute.

Après m’avoir engagé par signes à me cacher dans un massif de chênes, à quelques pas du château, Ivan frappa à la porte. Il voulait, avant de me présenter, s’assurer que je ne courais aucun danger.

Il revint bientôt me dire que le baron m’attendait. Je lui demandai si l’on allait me donner l’hospitalité. Bien qu’il ne comprît pas mes paroles, le bon Ivan devina ma pensée : il m’encouragea de la voix et du geste et, me prenant par la main, me fit monter les cinq ou six marches du perron au haut duquel le baron et sa dame se tenaient avec leurs trois enfants.

— Soyez le bienvenu, me dit le seigneur ; mon ami a bien fait de vous envoyer ici. Chez lui vous étiez exposé aux plus grands dangers, tandis qu’ici nous recevons très-rarement la visite de messieurs les cosaques…

Ah ! quels hommes de cœur que ces nobles Polonais ! Si vieux que je sois, il me semble que je retrouverais encore les forces et l’ardeur de la jeunesse, si leur patrie demandait des volontaires pour conquérir son indépendance.

La baronne, qui, aussi bien que son mari, parlait très correctement le français, me fit mille questions et je dus, le soir même, lui faire le récit de mes aventures.