Page:Des Érables - La guerre de Russie, aventures d'un soldat de la Grande Armée, c1896.djvu/109

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Des myriades d’étoiles scintillaient au firmament et semaient sur la neige glacée des points lumineux et brillants comme des diamants. Tout cela m’éblouissait et me fascinait. Mon état d’épuisement aidant, je fus bientôt pris de vertige. Il me sembla que les étoiles descendaient, descendaient encore, tournoyaient autour de moi, se rapprochant de plus en plus, m’attirant, me forçant pour ainsi dire à tourner avec elles. Bientôt, je ne vis plus qu’un grand cercle de feu qui tournait, tournait, se rétrécissant sans cesse.

Je tombai, la face dans la neige, après avoir heurté du front l’arbre contre lequel je m’étais appuyé. Cette chute me sauva, car malheur à ceux qui se laissent aller au sommeil dans de pareilles circonstances !

Malgré mon état extrême de faiblesse, je me remis en route, avançant péniblement, mais avançant tout de même, soutenu par l’idée que j’approchais du but.

Tout-à-coup j’arrivai à un grand espace vide. La nappe blanche qui s’étendait à droite et à gauche, était unie comme une glace. Devant moi, à une cinquantaine de pas, je vis la masse sombre des sapins, la continuation de la forêt. Cet espace sans arbres, c’était sans doute la rivière gelée et couverte de neige !

En appuyant à droite, je devais nécessairement arriver à un pont, à celui que traversait la grand’route.

Mais serait-ce bien le parti le plus sage ?

Ce pont était sans nul doute gardé par les cosaques et, si près de la liberté, c’eût été pénible de me voir de nouveau arrêter.

Si la glace était assez forte pour me porter !… Essayons toujours… Je descends lentement la berge, et, posant avec mille précautions un pied, puis l’autre, j’avance, les bras étendus, comme si je m’aventurais sur une corde raide. La glace parait très-forte et je n’entends pas ce craquement sinistre annonçant qu’un gouffre va s’ouvrir. Alors je me mets à courir et j’atteins bientôt l’autre rive, joyeux, la tête en feu, me croyant sauvé parce que je foule le sol de la Pologne.

Puis, de nouveau mon imagination se met à travailler et je me demande quel serait mon sort si, contrairement à mon attente, on me refusait l’hospitalité.

Au commencement de la guerre, les Polonais ne voyaient en nous que des libérateurs. Mais aujourd’hui que nous sommes battus, humiliés, la pauvre Pologne n’est-elle pas de nouveau opprimée par la Russie, ne vais-je pas trouver encore sur mon chemin ces cosaques exécrés, toujours heureux quand ils peuvent maltraiter un soldat français ?

Pourquoi m’arrêter à ces tristes pensées ? N’ai-je pas échappé à d’innombrables dangers ? Maintenant que le plus difficile est fait, n’aurais-je pas doublement tort de me laisser aller au découragement ? Puis, ma mère a promis d’aller en pèlerinage à Hal si j’ai le bonheur de revenir sain et sauf, et je veux y aller avec elle !

Ces réflexions me donnèrent du cœur et je continuai à marcher, toujours droit devant moi, espérant bien que tôt ou tard je finirais par découvrir une habitation, chaumière ou château. En effet, après deux ou trois heures de marche, au moment où la clarté grise d’un triste jour d’hiver succédait aux ténèbres, je vis, à une petite distance, au milieu d’une immense clairière, une belle maison de campagne, entourée d’un fossé très large et d’une épaisse ceinture de sapins. Un silence solennel régnait partout. Nulle habi-