Page:Delly - Les deux fraternités, ed 1981.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
LES DEUX FRATERNITÉS

reuse : elle avait à qui se dévouer tout entière… Et le gain assez fort que lui procurait son habile travail de passementière servait à nourrir, à entretenir ces êtres que l’humanité rejetait, mais en qui elle, la chrétienne, avait su voir l’âme immortelle, appelée à une destinée d’autant plus haute que son enveloppe terrestre était plus misérable et plus souffrante.

Bien des gens traitaient de folle Mlle Césarine. Se charger de ces étrangers, alors que son gain lui eût permis de vivre tranquillement !… Mais d’autres admiraient et vénéraient l’héroïque créature, toujours sereine et souriante, véritable mère pour ceux qu’elle appelait « ses enfants », bien que l’un d’eux fût plus âgé qu’elle. Au nombre de ces admirateurs étaient M. de Mollens et sa femme, qui ne craignaient pas d’entrer dans le pauvre logis et d’affronter la vue de ces atroces misères physiques pour procurer un peu de contentement aux malheureux.

Le marquis avait pris entre ses mains celles du jeune homme, affreusement déformées ; il lui parlait avec cette cordialité, cette douceur souriante qu’il gardait pour sa famille et pour les humbles, car dans le monde on le trouvait très réservé et parfois un peu froid.

Lorin, le père, dit tout à coup de sa voix rauque, en posant sur M. de Mollens ses yeux à peine visibles dans la boursouflure des chairs :

— Écoutez, monsieur, quand j’étais un jeune homme, j’allais volontiers entendre des gens qui nous racontaient, avec de belles phrases, que la