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LES DEUX FRATERNITÉS

posèrent sur celles de l’infirme, brûlantes de fièvre…

— Oublie cela ! J’étais mauvaise. Maintenant que je commence à connaître les enseignements du christianisme, je ne le dirais plus.

— Tu ne le dirais plus ? Est-ce bien vrai ?

Ses yeux scrutaient avidement la physionomie de la jeune fille.

— Très vrai, je t’assure. Je le dirais d’autant moins que tu es maintenant très bon pour moi.

Il murmura avec une sorte d’ironie douloureuse :

— Ah ! tu ne comprenais pas ! tu ne comprenais pas ce que je souffrais ! Me voir enchaîné, pauvre être inutile et pitoyable, alors que j’aurais voulu posséder toute la gloire du monde pour te l’offrir, Claudine ! Oh ! je peux bien te le dire, maintenant que je vais mourir, je peux t’avouer combien tu as été aimée ! Je n’ai pas su te le faire comprendre, et tu as souffert par moi. J’étais aigri, révolté, je n’entendais autour de moi que la négation désespérante du beau, du bien, l’exaltation des jouissances matérielles ; je ne voyais que des hommes se ruant à l’assaut des honneurs, à la conquête de l’or, en piétinant leurs convictions et celles d’autrui, en se servant comme de marchepied du malheureux peuple trompé par eux, et dont ils se moquaient effrontément en petit comité. Tout cela m’a fait une âme mauvaise. Peut-être une morale telle que celle enseignée par les chrétiens m’aurait-elle transformé en un autre homme.