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LES DEUX FRATERNITÉS

line appuya sur ses lèvres le petit crucifix qu’elle portait toujours sur elle. Morand bondit jusqu’au lit, il essaya de s’en saisir. Mais Micheline le repoussa avec une force surhumaine, en le toisant d’un seul coup d’œil de mépris qu’il s’arrêta brusquement.

Prosper eut un dernier spasme. Et ce fut fini, pour cette vie, de celui qui avait conduit à leur perte tant de ses frères du peuple, qui avait parfois, près de certaines âmes, rempli le rôle odieux que Jules Morand venait de jouer près de lui. Celui qui avait empêché le prêtre d’approcher du chevet de malheureux repentants de leurs erreurs s’était vu refuser, à sa dernière heure, cette même faveur suprême, et Dieu seul savait si son repentir avait été suffisant pour lui mériter malgré tout le pardon. Micheline lui ferma les yeux, puis elle se détourna, et, très pâle, elle marcha vers la porte. Cette fois ; l’homme à la barbe grise s’était écarté. Les deux oiseaux de proie ne craignaient plus qu’on leur enlevât l’âme de Prosper.

Micheline ouvrit la porte, elle entra dans la pièce voisine. Alexis se redressa brusquement ; sa voix un peu rauque demanda :

— Madame, comment est-il ?

Mais, avant d’avoir terminé sa phrase, il avait lu la réponse sur la physionomie bouleversée de Micheline. Et, avec un grand soupir de douleur, il laissa aller sur le dossier de la chaise longue sa tête défaillante…