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LES DEUX FRATERNITÉS

depuis que son père avait fait quitter le lycée à sa pupille pour l’appeler près du jeune infirme, s’était fait le professeur de Claudine — et quel professeur c’était ! Non qu’il manquât de science, loin de là. Il avait fait de brillantes études, son esprit était à la fois original et profond, sa manière d’expliquer fort nette. Mais il ignorait totalement la patience. Claudine devait comprendre immédiatement sous peine de se voir couvrir de reproches mordants. De plus, la jeune fille devait s’incliner devant toutes les opinions énoncées par lui, sans avoir l’audace d’en discuter une seule. Et cependant, par un pénible esprit de contradiction, il lui demandait souvent son avis, ce qui obligeait Claudine, très franche, à énoncer des idées contraires aux siennes, et amenait des paroles dures ou violentes contre lesquelles cherchait vainement à se cuirasser la jeune fille.

Tout cela neutralisait l’effet qu’eût pu produire l’exercice pris régulièrement, et Claudine pâlissait, maigrissait de plus en plus. Souvent, aussi, elle avait des défaillances, des étourdissements. Mais elle n’en disait rien, et, en se voyant chaque jour un peu plus faible, elle songeait avec une sorte d’allégresse :

— Je ne vivrai plus bien longtemps, sans doute. Je serai délivrée enfin de cet esclavage, j’aurai le doux repos du néant.

Puis une tristesse immense montait en elle, et elle murmurait :

« Mais alors, pourquoi suis-je née ? Le mal-