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rappelle l’avoir vue… C’est vrai qu’Alix m’a défendu… mais j’entrerai si peu ! La porte est justement ouverte et la pioche se trouve à l’entrée… D’ailleurs, ce n’est pas un étranger, mais mon oncle qui habite là.

Secouant résolument sa tête rasée, il s’élança vers la petite demeure. Il franchit le seuil et s’arrêta brusquement… Au fond de la pièce était assis Even. Enveloppé de l’épaisse fumée se dégageant de sa pipe, il lisait un des volumes naguère rejetés avec horreur par Alix… Son regard se leva vers l’enfant, exprimant une irritation violente.

— Que venez-vous faire ici ? dit-il rudement.

Un instant interdit, Gaétan, peu intimidable de son naturel, reprit vite son aplomb.

— Je venais chercher une pioche pour tâcher d’avoir mon bateau qui est engagé entre les rochers. Voulez-vous me permettre de la prendre un instant, mon oncle ?

Pour la première fois, ce titre était donné à Even. Jusqu’ici, les enfants de sa sœur n’avaient jamais eu occasion de lui parler… Il tressaillit légèrement, de surprise sans doute, et une vague émotion remplaça dans ses prunelles grises les lueurs farouches de tout à l’heure. Il se leva, fit quelques pas en avant et regarda l’enfant toujours debout dans l’ouverture de la porte. La fière petite tête se redressait et, sous les longs cils dorés, les yeux francs et profonds soutenaient le regard inquisiteur d’Even.

Et aucun d’eux n’entendit le pas léger qui approchait, assourdi par la neige… Alix s’était bientôt aperçue du départ de son frère et, devinant où il se rendait, avait pris à son tour la route de Ker-Mora. Mais, en ne le voyant pas à l’endroit où était échoué le bateau, en apercevant la porte de la maisonnette ouverte, une vision terrible surgit en son esprit… Gaétan, seul en cette misérable demeure,