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de rien, d’autant que Georgina, redoutant son cœur droit et généreux, avait soin de faire cesser tout conflit en sa présence. S’il eût été plus âgé, je lui aurais tout confié, mais à quoi bon troubler son adolescence par la révélation de la déchéance paternelle et des fautes d’une sœur encore estimée et aimée ? Je lui laissai donc ses illusions…

» Fut-ce cette obligation de renfermer en moi ces angoisses ?… ou le retour des terribles instincts si difficilement assouplis par l’éducation chrétienne de nos chères Ursulines ?… ou une diminution de la divine lumière en mon âme tourmentée ?… ou tout cela ensemble, qui fit germer en moi une haine intense contre la cause de ma souffrance ? Oui, Alix, je haïssais ma sœur…

» Elle s’en aperçut vite, et cette constatation sembla la réjouir, tandis qu’elle prenait à tâche de m’exaspérer encore… Et, pour mettre le comble à mes ennuis, voici que Roger Maublars s’avisa de demander ma main. Il m’entourait, depuis quelque temps, de prévenances flatteuses, cachant autant que possible son impiété et déployant tous les charmes de son brillant esprit… mais en vain, car je l’avais percé à jour. Lorsque, sur l’autorisation de mon père, il vint m’adresser sa demande, je répondis par ce cri : « Oh ! jamais ! » où je mis tout le mépris et l’horreur inspirés par cette hypocrisie.

» Je le vis blêmir ; un éclair effrayant traversa son regard, mais il dit avec calme :

» — Comme il vous plaira, Gaétane. J’étais disposé à être pour vous le plus dévoué des époux ; vous auriez connu tous les bonheurs dévolus à la célébrité et à la fortune… mais je ne vous garderai pas rancune de votre refus si… spontané.

» Quelque chose dans l’intonation de sa voix me fit frissonner. J’eus la prescience que cet homme me haïssait désormais…