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attitude hostile, et d’autre part, telle était la souveraineté de la domination piétiste que malgré leur modération aucun d’eux ne réussit à obtenir le titre de professeur ordinaire. Cependant l’antagonisme latent des deux tendances finit par se manifester. Un professeur extraordinaire de physique, Chr. Gabr. Fischer, qui était d’abord entré à l’Université en ennemi de Leibniz et de Wolff, s’était converti dans la suite à la philosophie wolffienne ; juste au moment où Wolff venait d’être exilé de Halle, où ses disciples de Kœnigsberg n’osaient ni prononcer son nom, ni rappeler le titre de ses œuvres, Fischer, avec une imprudence qui eût été plus généreuse si elle n’avait été surtout inspirée par un besoin de provocation, avait fait ouvertement profession de la doctrine et parlé sans ménagements des cercles piétistes de la ville. Un ordre du cabinet, de 1725, qui alléguait principalement contre lui son attachement aux « mauvais principes » de Wolff, lui intima l’ordre de quitter Kœnigsberg dans les 24 heures, la Prusse dans les 48 heures. Cette mesure ne rappelait que trop celle qui avait été exécutée à Halle. Elle fut suivie à Kœnigsberg d’un abaissement notable dans l’enseignement philosophique et scientifique de l’Université. Le rationalisme était en mauvaise posture : il aurait eu sans doute beaucoup de peine à se redresser contre le piétisme ; ce fut le piétisme lui-même qui vint le relever, grâce à l’action considérable d’un homme dont la riche et vigoureuse personnalité s’était développée par l’union harmonieuse des deux disciplines rivales, d’un homme qui fut pendant de longues années comme le directeur spirituel de Kœnigsberg, Franz Albert Schultz.

Schultz était arrivé comme pasteur à Kœnigsberg en 1731. Il avait alors 39 ans. A l’Université de Halle où il avait étudié la théologie, il avait fortement trempé ses convictions piétistes ; mais comme il s’intéressait aussi aux mathématiques et à la philosophie, il avait suivi en même temps avec beaucoup de zèle les leçons de Wolff, qui jusqu'alors d’ailleurs n’avait pas eu l’occasion d’éveiller les