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manufactures, les dépenses de la noblesse étaient peu considérables et ne consistaient guère que dans les frais d’une large hospitalité. Il en était alors de même du premier noble du royaume, le roi : ayant peu de services à rétribuer, pas d’armée permanente à entretenir et n’arrivant généralement pas à dépenser tous ses revenus, il faisait comme ses vassaux, il thésaurisait, accumulant ainsi un fonds de prévoyance qui pût lui permettre de faire face éventuellement aux dépenses d’une guerre. Mais dès que les progrès de l’industrie eurent multiplié les besoins et développé les consommations, le roi cessa d’économiser et il trouva plus commode de s’adresser à ses sujets lorsqu’il eut à effectuer des dépenses extraordinaires : ce fut là l’origine des emprunts.

Les nations, comme les particuliers, commencèrent en général par emprunter sur leur crédit personnel, sans assigner ou hypothéquer de fonds particuliers pour le paiement de leurs dettes. Lorsque cette ressource leur eût manqué, elles en vinrent à emprunter sur des assignations ou sur l’hypothèque de fonds particuliers, d’abord pour un temps limité, puis à perpétuité lorsque, faute de pouvoir rembourser le capital à l’échéance, on imagina la rente perpétuelle. Ces sortes d’emprunts furent appelés, dans le premier cas, emprunts par anticipation, et, dans le second, emprunts avec fonds à perpétuité (dette fondée). Pour contenter les goûts des rentiers, les gouvernements cherchèrent encore des combinaisons particulières, et Smith en note ainsi deux autres, très répandues, qui tenaient le milieu entre les emprunts par anticipation et les emprunts à perpétuité : c’étaient les emprunts sur annuités à terme et les emprunts sur annuités viagères. Les annuités à terme avaient beaucoup de faveur en Angleterre ; mais les annuités viagères, créées soit sur vies séparées, soit sous forme de tontines, étaient de beaucoup préférées en France. Les dettes se plièrent ainsi par leur diversité aux goûts des citoyens, et elles prirent rapidement un développement excessif, très funeste aux sociétés.

Toutefois, malgré les dangers qu’elles présentent, on peut dire que les dettes publiques sont en réalité l’un des signes les plus caractéristiques des civilisations modernes, en ce qu’elles supposent la confiance des citoyens dans la sécurité des contrats,