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Adam Smith n’a pas insisté sur le principe de ce devoir, peut-être parce qu’il l’a jugé indiscutable en le considérant, pour ainsi dire, comme un complément de la défense nationale. Mais, au moment où les gouvernements se lancent dans des entreprises lointaines dans le but d’ouvrir des débouchés aux produits nationaux, nous ne pouvons nous empêcher de répondre à Smith par le fragment suivant, tiré des œuvres de Bastiat qui a posé la question sur son véritable terrain[1] : « Ne faut-il pas, dit-on, une puissante marine pour ouvrir des voies nouvelles à notre commerce et commander les marchés lointains ? — Vraiment les façons du gouvernement avec le commerce sont étranges ! Il commence par l’entraver, le gêner, le restreindre, et cela à gros frais ; puis, s’il en échappe quelques parcelles, le voilà qui s’éprend d’une tendre sollicitude pour les bribes qui ont réussi à passer au travers des mailles de la douane. Je veux protéger les négociants, dit-il, et, pour cela, j’arracherai encore 150 millions au public, afin de couvrir les mers de vaisseaux et de canons. Mais d’abord, les 99/100es du commerce français se font avec des pays où notre pavillon n’a jamais paru ni ne paraîtra. Est-ce que nous avons des stations en Angleterre, aux États-Unis, en Belgique, en Espagne, dans le Zollverein, en Russie ? C’est donc de Mayotte et de Nossi-Bé qu’il s’agit, c’est-à-dire qu’on nous prend, par l’impôt, plus de francs qu’il ne nous rentrera de centimes par ce commerce. Et puis, qui est ce qui commande le débouché ? Une seule chose, le bon marché. Envoyez où vous voudrez des produits qui coûtent 5 sous de plus que les similaires anglais ou suisses, les vaisseaux ou les canons ne vous les feront pas vendre. Envoyez-y des produits qui vous coûteront 5 sous de moins, vous n’aurez pas besoin, pour les vendre, de canons ou de vaisseaux. Ne sait-on pas que la Suisse qui n’a pas une barque, si ce n’est sur ses lacs, a chassé de Gibraltar même certains tissus anglais, malgré la garde qui veille à la porte ? Si donc c’est le bon marché qui est le vrai protecteur du commerce, comment notre gouvernement s’y prend-il pour le réaliser ? D’abord il hausse, par ses tarifs, le prix des matières premières, tous les instruments de travail,

  1. Pais et Liberté. Paris, 1849, Guillaumin.