Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/274

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un large pont sur une rivière à un endroit où personne ne passe et seulement pour embellir la vue des fenêtres d’un palais voisin, choses qui se voient quelquefois dans des provinces où les travaux de ce genre sont payés sur un autre revenu que celui fourni par eux-mêmes. »

Ce passage est l’un des plus beaux de toute l’œuvre de Smith, et l’illustre philosophe ne pouvait mieux faire ressortir le vice fondamental des travaux entrepris par l’État. Il va d’ailleurs encore plus loin dans cette voie, et, lors même que l’initiative privée a fait défaut et que l’État a dû, dans un intérêt général bien établi, construire lui-même, il veut qu’il se dessaisisse de l’entretien, qu’il charge une régie d’y pourvoir et de percevoir les taxes. Si l’État, en effet, exploite lui-même, non seulement il enlève ainsi tout recours aux intéressés pour le cas où l’entretien deviendrait défectueux, mais il est en outre fatalement entraîné à abuser de son monopole et de sa toute puissance trouvant bientôt dans les droits perçus une ressource fiscale, il arrive nécessairement à les augmenter, il supprime ainsi toute proportion entre le montant des dépenses et la quotité des taxes et il fait participer aux charges ceux-là mêmes qui ne peuvent profiter des services.

Smith préfère donc, dans tous les cas, le système de la régie et des droits de barrière en usage en Angleterre, au système français de la gratuité des routes. En effet, durant son voyage à Toulouse et dans les provinces du Midi de la France, il avait été frappé de l’état pitoyable de la plupart de nos voies de communication. Tant qu’il avait voyagé sur les grandes routes de poste, il n’avait pas eu à se plaindre, et il juge que beaucoup sont mieux entretenues même que les routes à barrières de son pays ; mais lorsqu’il dut sortir de ces larges voies et prendre des chemins de traverse, il trouva ceux-ci fort négligés ; ils étaient parfois absolument impraticables même à une forte voiture, et cependant ils formaient à cette époque la majeure partie de notre réseau. « En certains endroits, dit Smith[1], il est même dangereux de voyager à cheval, et, pour y passer avec quelque sûreté, on ne peut guère se fier qu’à des mulets. Le mi-

  1. Rich., liv. V, ch. I (t. II, p. 382).