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satisfaire, il y a, en réalité, une foule d’éléments divers à considérer et souvent à concilier : la morale, l’économie politique, l’histoire, la politique et même l’hygiène, trouvent leur place dans cette étude, et, mieux que tout autre, Smith était préparé, par la nature même et l’étendue de ses travaux, à peser avec équité la valeur respective des différents arguments qui pouvaient être mis en balance dans cette délicate matière.


Le premier des services et le plus essentiel que l’on est en droit d’attendre du souverain est la sécurité de la nation. Adam Smith approuve donc sans réserve les dépenses de cette nature dans les limites où elles sont nécessaires, et il estime même que l’augmentation continuelle de ces dépenses, par suite de la transformation de l’art de la guerre, a eu, en fait, une réelle influence sur la civilisation. Remontant aux siècles barbares, il nous montre l’origine des armées chez les peuples chasseurs et chez les tribus nomades de pasteurs, puis dans les anciennes républiques grecques et romaine, alors que tout le monde était guerrier et s’entretenait à ses frais. Mais l’accroissement de l’industrie et les progrès de l’art de la guerre vinrent imposer aux nations une autre organisation, basée sur le principe de la division du travail, et l’auteur en vante les heureux effets. Au point de vue économique, il fait ressortir les avantages inhérents à la séparation des tâches ; au point de vue militaire, il montre « la supériorité irrésistible qu’une armée de troupes réglées, bien disciplinées, a sur les milices, » et, entrant à cet égard dans des considérations historiques fort remarquables, il cherche à expliquer, par la prépondérance de l’élément permanent dans les armées, la grandeur ou la décadence des principales nations de l’Europe. Enfin, au point de vue politique et social, il voit dans cette transformation un agent très puissant de civilisation : « Si ce n’est, dit-il[1], que par le moyen d’une armée de troupes réglées, bien tenues, qu’un pays civilisé peut pourvoir à sa défense, ce ne peut être non plus que par ce moyen qu’un pays barbare peut passer tout d’un coup à un état passable de civilisation. Une armée de troupes réglées fait régner, avec une

  1. Rich., liv. V, ch. I (t. II, p. 359).