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tion du propriétaire. « Dès l’instant, dit-il[1], que le sol d’un pays est devenu propriété privée, les propriétaires, comme tous les autres hommes, aiment à recueillir où ils n’ont pas semé, et ils demandent un fermage, même pour le produit naturel de la terre. Il s’établit un prix additionnel sur le bois des forêts, sur l’herbe des champs et sur tous les fruits naturels qui, lorsque la terre était possédée en commun, ne coûtaient à l’ouvrier que la peine de les cueillir et lui coûtent maintenant davantage. Il faut qu’il paie pour avoir la permission de les recueillir, et il faut qu’il cède au propriétaire du sol une portion de ce qu’il recueille ou de ce qu’il produit par son travail. Cette portion, ou, ce qui revient au même, le prix de cette portion constitue la rente (rent of land), et, dans le prix de la plupart des marchandises, elle forme une troisième partie constituante. »

Cette doctrine est en tous points erronée, et, à prendre ce passage à la lettre, on s’expliquerait presque le fameux mot de Proudhon (« La propriété, c’est le vol ! ». Toutefois, Adam Smith atténue bien vite la gravité de ses paroles, et, quelques pages plus loin, il reconnaît lui-même en termes exprès, que dans ce revenu du propriétaire, à côté de la rente proprement dite qui représente la part de la nature travaillant conjointement avec l’homme, il existe un autre élément afférent à la part des améliorations de toute sorte et des capitaux que le propriétaire a incorporés à la terre. Mais, tout en admettant la présence de ce second élément qui comprend la part du travail accumulé, il n’en a pas saisi l’importance, et il n’a voulu y voir qu’un complément infime du don gratuit consenti par la nature au profit du propriétaire. « On pourrait se figurer, dit-il[2], que la rente de la terre n’est souvent qu’un profit ou un intérêt raisonnable du capital que le propriétaire a employé à l’amélioration de la terre. Sans doute il y a des circonstances où le fermage pourrait être regardé en partie comme tel, mais il ne peut presque jamais arriver que cela ait lieu pour plus que pour une partie. Le propriétaire exige une rente même pour la

  1. Rich., liv. I, ch. VI (t. I, p. 67).
  2. Rich., liv. I, ch. XI (t. I, p. 188).