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à parier qu’il n’y fera pas assez de progrès pour être en état de vivre de cette profession. Dans une loterie parfaitement égale, ceux qui tirent les billets gagnants doivent gagner tout ce que perdent ceux qui tirent les billets blancs. Dans une profession où vingt personnes échouent pour une qui réussit, celle-ci doit gagner tout ce qui aurait pu être gagné par les vingt qui échouent. L’avocat, qui ne commence peut-être qu’à l’âge de 40 ans à tirer parti de sa profession, doit recevoir la rétribution, non seulement d’une éducation longue et coûteuse, mais encore de celle de plus de vingt autres étudiants à qui probablement cette éducation ne rapportera jamais rien. Quelque exorbitants que semblent quelquefois les honoraires des avocats, leur rétribution réelle n’est jamais égale à ce résultat. Calculez la somme vraisemblable du gain annuel de tous les ouvriers d’un métier ordinaire, dans un lieu déterminé, comme cordonniers ou tisserands, et la somme vraisemblable de leur dépense annuelle, vous trouverez qu’en général la première de ces deux sommes l’emportera sur l’autre, mais faites le même calcul à l’égard des avocats et étudiants en droit dans tous les différents collèges de jurisconsultes, et vous trouverez que la somme de leur gain annuel est en bien petite proportion avec celle de leur dépense annuelle, en évaluant même la première au plus haut et la seconde au plus bas possible. La loterie du droit est donc bien loin d’être une loterie parfaitement égale, et cette profession, comme la plupart des autres professions libérales, est évidemment très mal récompensée, sous le rapport du gain pécuniaire. Ces professions, cependant, ne sont pas moins suivies que les autres, et, malgré ces motifs de découragement, une foule d’esprits élevés et généreux s’empressent d’y entrer. Deux causes différentes contribuent à cette vogue : la première, c’est le désir d’acquérir la célébrité qui est le partage de ceux qui s’y distinguent, et la seconde, c’est cette confiance naturelle que tout homme a plus ou moins, non seulement dans ses talents mais encore dans son étoile. »

Cette comparaison tirée des loteries est fort ingénieuse, et Smith a ainsi légitimé complètement, par ce rapprochement saisissant, les gros honoraires que réclament, dans certaines professions, le petit nombre des élus qui sont en possession du