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chacun d’eux tirait à lui et ne songeait qu’à s’enrichir au plus vite par tous les moyens possibles ; leur moralité était détestable, et, quelques années après l’apparition des Recherches, W. Pitt dut, pour mettre des bornes à ce scandale, déposer un bill obligeant tout individu de retour des Indes à déclarer sa fortune et instituant un tribunal spécial pour juger les concussions commises par les agents. Les compagnies privilégiées aggravaient donc encore les funestes effets du système mercantile ; elles devaient tomber avant le monopole lui-même et l’ouvrage d’Adam Smith n’a pas peu contribué à leur disparition.

Toutefois, si le célèbre économiste a condamné sans appel le système colonial lui-même et les moyens que le monopole avait mis en œuvre pour s’assurer les marchés lointains ; il ne conteste nullement les heureux résultats qu’aurait eus l’établissement des colonies dans le cas où leur commerce serait resté libre. Avec la liberté, en effet, les débouchés nouveaux augmentent l’activité des manufactures nationales ; ils attirent les capitaux sans emploi, mais ils n’en changent pas violemment la destination, et cette exportation des capitaux et des bras se règle naturellement par l’effet modérateur de la concurrence ; il n’y a ainsi ni augmentation artificielle des profits, ni pléthore dans certaines branches de l’industrie. L’éminent philosophe va même plus loin : il reconnaît formellement qu’en somme les bons effets qui résultent naturellement du commerce des colonies sont si grands qu’ils font plus que contrebalancer les inconvénients du monopole, et il constate qu’en fait si le système colonial a détourné une partie des capitaux de certains emplois vraiment productifs, la masse des fonds de la nation a néanmoins augmenté dans des proportions considérables et entretenu en définitive dans la métropole une plus grande quantité de travail.

Quoi qu’il en soit, tout en étant favorable à l’établissement des colonies, il n’en conseille pas moins à son pays d’abandonner à elles-mêmes celles qui peuvent se suffire et de leur laisser toute leur autonomie. « En se séparant ainsi, de bonne amitié, dit-il, l’affection naturelle des colonies pour leur mère patrie, ce sentiment que nos dernières divisions ont peut-être presque entièrement éteint, reprendrait bien vite sa force, et elle constituerait en notre faveur un réel privilège pour le maintien des