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stances même, elles ont effrayé la législature. Un membre du Parlement qui appuie toutes les propositions tendant à renforcer ce monopole est sûr, non seulement d’acquérir la réputation d’un homme entendu dans les affaires du commerce, mais d’obtenir encore beaucoup de popularité et d’influence chez une classe de gens à qui leur nombre et leur richesse donnent une grande importance. Si, au contraire, il combat ces propositions, et surtout s’il a assez de crédit dans la Chambre pour les faire rejeter, ni la probité la mieux reconnue, ni le rang le plus éminent, ni les services publics les plus distingués ne le mettront à l’abri des outrages, des insultes personnelles, des dangers même que susciteront contre lui la rage et la cupidité trompée de ces insolents monopoleurs. » Dans cet élan d’indignation, Adam Smith n’a pas assez compté sur la force naturelle des choses, sur les effets du développement de la richesse et de la marche incessante de la civilisation. De nos jours, de grands pas ont été faits dans la voie de la liberté commerciale. Les perfectionnements des agents mécaniques, les applications de la vapeur et de l’électricité, en développant la production dans une mesure considérable et en multipliant en même temps les débouchés, ont fait parfois désirer par les producteurs eux-mêmes la suppression des entraves. À un moment donné, on aurait pu dire que, comme l’avait prévu Léon Faucher, la vapeur avait emporté sur ses ailes nos tarifs et nos préjugés[1].

Cependant l’éminent économiste ne s’est pas laissé aller, en réalité, au découragement qu’aurait pu susciter en lui cette amère pensée de l’inutilité de ses efforts ; il a frappé, au contraire, à coups redoublés, et sur le principe, et sur les diverses

  1. Léon Faucher. Réponse au Manifeste du Comité central de la Prohibition (Journal des Écon., 1846-1847, t. I, p. 208 et 289). « L’Angleterre n’a pas pu supporter le monopole des propriétaires fonciers en matière de grains, aussitôt qu’elle a possédé des routes, des canaux, des chemins de fer et de nombreux navires. Quant à la France, si le régime de la prohibition ne succombe pas plus tôt, il deviendra certainement intolérable et impraticable dès l’achèvement de nos grandes lignes de chemins de fer. La vapeur emportera nos tarifs et nos préjugés sur ses ailes ; les restrictions du commerce tomberont devant la locomotive, comme sont tombées devant l’imprimerie les chaînes de la pensée. »