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une nation peut à la rigueur se passer de certaines denrées, elle ne peut jamais se passer de la marchandise spéciale qui sert de monnaie. Aussi nous estimons que Turgot a été un peu loin lorsqu’il a affirmé, par une réaction excessive contre l’exagération de ce système, que toute marchandise est monnaie. Cet aphorisme est vrai en principe, si on veut dire par là que toute marchandise pourrait servir, d’une manière plus ou moins convenable, d’intermédiaire dans les échanges, et Smith a montré qu’à l’origine des civilisations, le bétail, le blé, le tabac, le sel ont servi de monnaie. Mais lorsqu’une marchandise a été, d’un consentement général, investie de la fonction de monnaie, et que, depuis des siècles, elle a servi, en fait, d’instrument in dispensable des échanges, elle est quelque chose de plus qu’une marchandise ordinaire. Nous ne dirons pas que c’est la marchandise par excellence, parce que ce terme a été employé souvent d’une façon inexacte, mais c’est une marchandise qui ne convient pas seulement à quelques-uns, comme le tabac ou même le blé, c’est une marchandise qui est nécessaire à tous, parce que tous ont besoin de vendre ou d’acheter et que le numéraire est devenu, par un usage constant, l’intermédiaire commun de tous les échanges. C’est là ce qu’avaient compris les grands esprits qui, comme Colbert, avaient donné à la doctrine mercantile l’autorité de leur nom et le concours de leur influence.


Mais on sait que cette école, partie d’un fait exact, a abouti à des conséquences erronées et funestes. Non seulement elle a considéré le numéraire comme une richesse particulière dont un pays ne peut se passer, mais, prétendant même que c’est lui seul qui constitue la vraie richesse, elle s’est efforcée, par une réglementation compliquée et arbitraire de l’industrie et du commerce, d’attirer autant que possible le métal précieux sur le marché national et de l’empêcher d’en sortir. C’était une erreur et une faute : une faute, parce que toute réglementation est funeste au développement de la richesse qu’elle prétend servir ; une erreur parce que, dès que le canal de la circulation est rempli, toute accumulation nouvelle d’espèces devient inutile au mouvement général des affaires. Ce surplus augmente ainsi le prix de toutes choses et, par là même, il est impuissant à se