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tion lumineuse des phénomènes et des causes qu’on a pu apprécier par exemple, dans son chapitre sur la division du travail.

C’est que le célèbre économiste est parti, en réalité, d’une fausse conception de la valeur, car, après avoir établi avec raison que le travail en est l’origine et le principe, il a voulu démontrer en outre qu’il en est également la mesure rigoureuse. « La valeur d’une denrée quelconque, dit-il en effet[1], pour celui qui la possède et qui n’entend pas en user ou la consommer lui-même, mais qui a l’intention de l’échanger pour autre chose, est égale à la quantité de travail que cette denrée le met en état d’acheter ou de commander. Le travail est donc la mesure réelle de la valeur échangeable de toute marchandise. » Et plus loin : « Le travail est la seule mesure universelle, aussi bien que la seule exacte, des valeurs, le seul étalon qui puisse nous servir à comparer les valeurs de différentes marchandises à toutes les époques et dans tous les lieux[2]. »

Cette théorie a été chaudement défendue par Germain Garnier, mais elle n’en est pas moins erronée. Elle repose, il est vrai, sur une observation juste, à savoir que la valeur a son principe dans le travail, dans l’action de l’homme sur les choses ; il est également exact que la valeur de chaque marchandise est limitée par le travail que l’acquéreur devrait effectuer lui-même pour la produire ou pour l’obtenir par un autre échange ; mais il ne résulte nullement de là que le travail soit, comme le prétend l’auteur, la mesure réelle de toute marchandise, l’étalon des valeurs, la commune mesure de la valeur des produits dans tous les temps et dans tous les lieux. Il ne peut pas y avoir de mesure invariable des valeurs, pas plus le blé proposé par J.-B. Say, que le travail préconisé par Adam Smith. La mesure des valeurs, en effet, ne pourrait être qu’une unité de même nature, c’est-à-dire une valeur ; or, toute valeur est mobile par définition, puisqu’elle consiste dans un rapport entre deux objets ; elle ne peut donc être une mesure fixe. D’ailleurs, à aucun égard, le travail de l’homme ne peut être considéré comme un fait invariable : la force physique varie

  1. Rich., liv. I, ch. V (t. I, p. 38).
  2. Rich., liv. I, ch. V (t. I, p. 47).