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devient richesse. Le commerçant fait donc en quelque sorte de rien quelque chose ; il ne laboure pas, mais il fait labourer ; il engage le colon à retirer de la terre un surabondant toujours plus grand et il en fait toujours une richesse nouvelle. Par le concours du colon et du commerçant, l’abondance se répand d’autant plus que les consommations augmentent à proportion des productions, et réciproquement les productions à proportion des consommations. Une source qui se perd dans des rochers et dans des sables n’est pas une richesse pour moi, mais elle en devient une si je construis un aqueduc pour la conduire dans mes prairies. Cette source représente les productions surabondantes, que nous devons aux colons, et l’aqueduc représente les commerçants. »

Cette démonstration de la productivité du commerce ne serait pas désavouée de nos jours, et c’est à Condillac, dont on ignore trop les travaux économiques, qu’on doit cette réfutation éclatante de l’erreur des physiocrates. Mais le philosophe français a exagéré sa réaction contre cette doctrine, et, faute d’avoir suffisamment analysé le travail, qui, en somme, ne consiste que dans un mouvement raisonné, dans le rapprochement de deux substances, il s’est laissé aller jusqu’à rabaisser un peu le rôle producteur de l’ouvrier agricole : « À parler exactement, dit-il[1], le colon ne produit rien : il dispose seulement la terre à produire. L’artisan, au contraire, produit une valeur, puisqu’il y en a une dans les formes qu’il donne aux matières premières. Produire, en effet, c’est donner de nouvelles formes à la matière ; car la terre, lors qu’elle produit, ne fait pas autre chose. »

De son côté, Smith est plutôt tombé dans l’excès opposé, et, après avoir combattu l’école de Quesnay en affirmant la productivité des différentes industries, il n’a pas caché ses préférences pour l’agriculture. Aussi sa conclusion se rapproche de celle du système qu’il vient de réfuter. « Aucun capital, dit-il[2] à somme égale, ne met en activité plus de travail productif que celui du fermier. Ce sont non seulement ses valets de ferme, mais ses bestiaux de labour et de charroi qui sont autant d’ouvriers pro-.

  1. Le Commerce et le Gouvernement, ch. IX, p. 72.
  2. Richesse, liv. II, ch. V (t. I, p. 455).