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chesse des nations, et jusqu’à nos jours on avait reporté à Adam Smith, l’honneur exclusif d’avoir fait cette démonstration. Nous croyons donc bon d’en citer quelques extraits, qui complètent d’ailleurs heureusement les arguments de l’économiste, écossais.

« Que devons-nous aux commerçants ? disait l’abbé de Condillac[1]. Si, comme tout le monde le suppose, on échange toujours une production d’une valeur égale contre une autre production d’une valeur égale, on aura beau multiplier les échanges, il est évident que, après comme auparavant, il y aura toujours la même masse de valeurs ou de richesses. Mais il est faux que, dans les échanges, on donne valeur égale pour valeur égale. Au contraire, chacun des contractants en donne toujours une moindre pour une plus grande. En effet, si on échangeait toujours valeur égale pour valeur égale, il n’y aurait de gain à faire pour aucun des contractants. Or, tous deux en font et en doivent faire. Pourquoi ? C’est que les choses n’ayant qu’une valeur relative à nos besoins, ce qui est plus pour l’un est moins pour l’autre, et réciproquement. L’erreur où l’on tombe à ce sujet vient de ce qu’on parle des choses qui sont dans le commerce comme si elles avaient une valeur absolue, et qu’on juge en conséquence qu’il est de la justice que ceux qui font des échanges se donnent mutuellement valeur égale pour valeur égale. Bien loin de remarquer que deux contractants se donnent l’un à l’autre moins pour plus, on pense, sans trop y réfléchir, que cela ne peut pas être ; et il semble que, pour que l’un donnât toujours moins, il faudrait que l’autre fût assez dupe pour donner toujours plus, ce qu’on ne peut pas supposer. — Ce ne sont pas les choses nécessaires à notre consommation que nous sommes censés mettre en vente, c’est notre surabondant, comme je l’ai remarqué plusieurs fois. Nous voulons livrer une chose qui nous est inutile pour nous en procurer une qui nous est nécessaire : nous voulons donner moins pour plus… Or, les commerçants sont les canaux de communication par lesquels le surabondant s’écoule. Des lieux où il n’a point de valeur, il passe dans les lieux où il en prend une, et partout où il se dépose, il

  1. Le Commerce et le Gouvernement, ch. XXIX, p. 328.