Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais qui fit une profonde impression sur les contemporains lorsqu’il fut mis en lumière par l’auteur des Recherches. Puis, après avoir montré les divers ouvriers d’un même atelier occupés à des travaux différents dans la fabrication d’un même objet, il fait remarquer que ce qui se passe ainsi dans l’intérieur de chaque manufacture, se reproduit en grand dans l’ensemble de la société, et que, plus un pays est policé, plus la séparation des tâches y est pratiquée, parce que la division du travail s’impose dès que, par l’échange, le marché peut s’étendre, dès que l’accroissement des débouchés donne un certain essor à la production. Il invoque, à cet égard, le témoignage même de l’histoire, et il établit que ce phénomène économique s’est manifesté d’abord chez les nations commerçantes, dans l’Égypte par exemple dont le marché s’étendait facilement, grâce aux voies de communication naturelles dont elle était pourvue, à la fois baignée par une mer tranquille où la navigation côtière est très simple, et traversée par le Nil dont les diverses branches peuvent être facilement utilisées pour le transport des marchandises.

C’est que la séparation des tâches contribue de trois manières, selon lui, à augmenter la puissance du travail : premièrement, parce qu’elle accroît l’habileté de chaque ouvrier individuellement en réduisant sa tâche à une opération simple qu’il effectue indéfiniment ; en second lieu, parce qu’elle évite la perte du temps que l’artisan mettait à passer d’un ouvrage à un autre, à changer de place et d’outils ; enfin, parce qu’elle a donné lieu à l’invention des machines. Quand l’attention d’un homme, dit Smith[1], est dirigée tout entière sur un objet, il est bien plus propre à découvrir les procédés de travail les plus rapides et les plus commodes que lorsque cette attention embrasse une grande variété de choses. Celles mêmes des machines qui n’ont pas été inventées par des ouvriers, mais par des savants, sont dues encore à la division du travail qui, introduite dans les sciences spéculatives, a seule pu permettre aux théoriciens d’acquérir l’expérience, et l’aptitude nécessaires dans la branche que chacun d’eux avait adoptée.

  1. Rich., liv. I, ch. I (t. I, p. 13).