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aussi haïssable qu’il le paraît aux autres ; il devient pour lui-même un objet d’effroi, par une espèce de sympathie pour l’horreur qu’il inspire à tout le monde. Le sort de la personne qui a été victime de son crime lui fait connaître, malgré lui, la pitié. La seule pensée de la situation où il l’a réduite, le déchire ; il déplore les funestes effets de sa passion ; il sent qu’ils le rendent l’objet de l’indignation publique, et de ce qui en est la conséquence naturelle, la vengeance et le châtiment. Cette pensée s’attache au fond de son cœur et le remplit d’épouvante et d’horreur. Il n’ose regarder personne en face ; il croit être rejeté de la société des hommes et pour jamais banni de leur affection. Dans l’excès même de son malheur, il ne peut espérer les douces consolations de la sympathie. Ce sentiment est banni sans retour du cœur de ses semblables par le souvenir de son crime. »

On voudrait pouvoir citer en entier ce passage remarquable. Malgré l’erreur fondamentale qui domine toute la matière, l’auteur a décrit avec une exactitude étonnante ce phénomène du remords, et on ne peut que regretter qu’il ait dû rattacher cette étude à son système : elle est profondément vraie, sauf en ce qui concerne le point de rattachement, et elle dénote des observations délicates et profondes qu’on ne saurait trop apprécier.

En ce qui concerne les considérations de cette nature, la Théorie des sentiments moraux est fort intéressante, et Victor Cousin conseillait à ses élèves de lire ce livre tout entier, de le relire même souvent. « Son mérite, disait-il[1], est dans cette multitude d’idées justes et délicates qui se ternissent et même périssent dans la sécheresse d’un extrait et qu’il faut supprimer ou reproduire dans toute leur étendue. Distinguez bien les observations sur lesquelles se fonde la théorie et la théorie elle-même, les applications du principe et le principe. Nous admettons presque toutes les observations, mais non pas la théorie qui dépasse infiniment les faits sur lesquels elle a l’air de s’appuyer ; nous admirons la richesse et la fécondité des applications que Smith tire de son principe, mais ce principe échappe et s’évanouit dès qu’on tente de le soumettre à un examen sérieux. »

  1. Philosophie écossaise, 4e leçon, p. 176.