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généralisation et ne peut être le fondement de notre jugement moral.

Voilà, en quelques traits, les bases de la Théorie des sentiments moraux. Nous en étudierons plus loin les applications, souvent fort justement déduites et toujours ingénieuses, mais nous tenons, dès maintenant, à montrer les erreurs du principe lui-même et à en souligner les points faibles.

La critique de ce système a été faite, d’une façon remarquable, par Victor Cousin dans ses Leçons sur la philosophie écossaise, et par Th. Jouffroy dans son Cours de Droit naturel. Tout en reconnaissant la valeur de l’ouvrage lui-même et les observations délicates qu’il renferme, ces deux professeurs éminents ont été d’accord pour condamner le fond même de la doctrine.

Cependant, le fait sur lequel elle repose est en lui-même incontestable ; il est certain qu’il y a en nous un sentiment de sympathie pour ce qui est bien, d’antipathie pour ce qui est mal, et Smith a admirablement démontré la puissance de ce sentiment. Mais autre chose est le sentiment qui nous pousse au bien en nous le faisant aimer, et autre chose la loi morale qui nous ordonne de faire le bien : le sentiment n’est en réalité que l’auxiliaire de la raison. La sympathie présuppose la loi morale, elle ne la constitue pas. Nous sommes sympathiques à la belle conduite des autres, parce que notre raison nous apprend qu’ils font bien, mais notre sympathie, qui n’est qu’un effet ordinaire de la perception morale, n’est pas en elle-même un criterium du bien et du mal. Comme l’a dit fort élégamment Victor Cousin, « elle est l’écho harmonieux de la vertu dans l’âme humaine ».

La sympathie est, en effet, comme tout sentiment, essentiellement relative suivant les temps et suivant les lieux : chez la même personne elle varie même à tout instant, selon son état physique comme selon les dispositions de son esprit, et la sympathie d’un homme, lorsqu’il est bien portant, est toute différente de celle du même homme lorsqu’il est souffrant.

Jugée à cette pierre de touche, une action ne serait donc en elle-même ni absolument bonne, ni absolument mauvaise. Telle aurait dû être la conséquence du système de Smith, si l’auteur avait été logique jusqu’au bout et s’il avait tiré des déductions rigoureuses