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XXXIX
EUGÈNE DELACROIX.

dans celles qui au premier abord paraissent une reproduction fidèle de la nature ; peut-être même serait-il exact de dire qu’elle doit s’affirmer d’autant mieux que le genre traité est plus proche de la nature. Delacroix pensait bien ainsi, et il émet cette idée dans les observations qu’il présente sur le « paysage ». L’idéalisation, qui n’est autre chose que l’interprétation originale du peintre, lui semble d’autant plus indispensable dans le paysage que celui-ci s’y trouve en communication plus directe avec la réalité, que son œuvre en deviendra nécessairement la copie servile, s’il n’y apporte des qualités de vision personnelle et puissante. Il dit quelque part que « le paysage qu’il lui faut, ce n’est pas le paysage absolument vrai ». Nous ne devons pas voir dans cette phrase la simple constatation de ses tendances particulières, qui le poussaient à ne pas envisager séparément ce genre de composition, à le considérer comme le décor mouvant au milieu duquel il plaçait ses inventions dramatiques ; à ce point de vue, il nous semble bien le descendant des grands peintres décorateurs d’autrefois. Mais, abstraction faite des tendances de Delacroix, si nous nous arrêtons avec lui au genre tel que les paysagistes l’ont traité, nous voyons qu’il y affirme une fois de plus la nécessité de l’idéalisation : « Les peintres qui reproduisent simplement leurs études dans leurs tableaux ne donnent jamais au spectateur un vif sentiment de la nature. Le spectateur est ému parce qu’il voit la nature par souvenir, en même temps qu’il voit votre tableau. » Qu’est-ce autre chose, cette remarque, que la constatation du caractère suggestif de l’œuvre d’art, des conditions de son existence et de sa portée, puisqu’en dernière analyse elle n’agit