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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

dans la crasse, passer les rivières à la nage, faute de ponts et de bateaux, vivre de glands dans les forêts, ou poursuivre à coups de flèches les cerfs et les buffles, pour conserver une chétive vie cent fois plus inutile que celle des chênes qui servent du moins à nourrir et à abriter des créatures ? Rousseau est donc de cet avis, quand il proscrit les arts et les sciences, sous le prétexte de leurs abus. Tout est-il donc piège, condition d’infortune ou signe de corruption dans ce qui vient de l’intelligence de l’homme ? Que ne reproche-t-il au sauvage d’orner et d’enluminer à sa manière son arc grossier ?… de parer de plumes d’oiseaux le tablier dont il cache sa chétive nudité ? Et pourquoi la cacher au soleil et à ses semblables ? N’est-ce pas encore là un sentiment trop relevé pour cette brute, pour cette machine à vivre, à digérer, à dormir ?

Jeudi 2 mai. — Chez M. Quantinet, vers deux heures. Vu lui et sa femme. Il faisait encore un froid du diable.

Monté dans la bibliothèque : vue enchanteresse, dont deux parties intéressantes : vu le couchant et vu le levant.

Samedi 4 mai. — Travaillé ce matin ; été voir Mme Quantinet dans le milieu de la journée ; refusé le lendemain dimanche son invitation à dîner : j’avais la gorge fatiguée, et vraiment besoin d’être tranquille.