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XXIX
EUGÈNE DELACROIX.

maturité et de la vieillesse commençante. En 1847, il écrit : « Je disais à Demay qu’une foule de gens de talent n’avaient rien fait qui vaille à cause de cette foule de partis pris qu’on s’impose ou que le préjugé du moment vous impose. Ainsi, par exemple, de cette fameuse question du Beau, qui est, au dire de tout le monde, le but des arts. Si c’est là l’unique but, que deviennent les gens qui, comme Rubens, Rembrandt, et généralement toutes les natures du Nord, préfèrent d’autres qualités ? »

De telles paroles sont la condamnation même des principes absolus en matière esthétique, de même que cette idée émise plus loin : « Le Beau est la rencontre de toutes les convenances », nous semble la négation de l’idéal romantique. C’est qu’en effet, et nous touchons ici à l’une des faces les plus curieuses de son esprit, à celle peut-être qui se trouvera le plus complètement éclairée par l’œuvre posthume du maître, si l’on s’efforce de dégager à ce point de vue sa signification, on reconnaît combien grande était l’erreur de ceux qui s’obstinaient à le représenter comme un des chefs du romantisme militant. En cela, nous semble-t-il, ils furent les dupes d’une apparence trompeuse ; ils ne virent que l’extrême fougue d’un tempérament excessif, sans vouloir tenir compte des facultés de réflexion, de repliement sur soi-même, de concentration voulue et préméditée, qui constituaient l’essence de son génie. Si Delacroix fut attentif à une chose, ce fut à ne s’affilier à aucune école, et, comme toutes les individualités très tranchées, à marcher seul dans sa carrière d’artiste. Les mêmes raisons qui firent que dans les premières années de son développement il demeura rebelle aux influences environnantes, que ni les écoles